Insights Header image
Insights Header image
Insights Header image

Pris entre deux feux : les entreprises ayant des liens avec la Russie font les frais du nouveau critère de contrôle proposé par le Canada

26 avril 2023 Bulletin sur le commerce international Lecture de 8 min

Le gouvernement canadien propose des modifications importantes à ses lois prévoyant des sanctions économiques. Nous discutons dans ce bulletin de l’adoption du nouveau critère de la « propriété réputée », ainsi que de la convergence accrue des sanctions et de la réglementation en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité.

Les entreprises et les citoyens canadiens devraient porter une attention particulière à ces changements s’ils ont des liens, même indirects, avec des entreprises russes ou d’autres entités visées par des sanctions.

Un nouveau critère de « contrôle » vague et incertain pour l’application des sanctions canadiennes

Le régime de sanctions économiques du Canada interdit diverses opérations, notamment toute opération portant sur un bien appartenant à une personne visée par des sanctions ou détenu ou contrôlé par elle [1]. Contrairement à d’autres pays alliés, le Canada n’a pas donné de définition ou d’orientation officielle concernant l’interprétation des termes « propriété » et « contrôle » dans le contexte des sanctions. Les révisions proposées dans le cadre du projet de loi C-47 (projet de loi portant exécution du budget de 2023), marquent un changement de cap à cet égard.

Aux termes du projet de loi, une personne visée par des sanctions sera réputée « contrôler » une entité dès lors que l’un ou l’autre des critères suivants est rempli :

  1. la personne détient, même indirectement, au moins cinquante pour cent des actions ou des titres de participation de l’entité, ou des droits de vote de celle-ci;
  2. la personne peut, même indirectement, modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration de l’entité;
  3. il est raisonnable, compte tenu des circonstances, de conclure que la personne peut, même indirectement et par tout moyen, diriger les activités de l’entité[2].

L’existence d’une situation de « contrôle » fait en sorte que l’entreprise contrôlée par une personne visée par des sanctions est effectivement considérée comme une entité visée par des sanctions. Ce traitement n’est pas controversé en ce qui concerne les filiales en propriété majoritaire et les coentreprises. Toutefois, les modifications feront en sorte qu’il y aura contrôle présumé dans beaucoup plus de situations.

Nous examinons chacun des trois volets de ce critère à tour de rôle.

Le critère du 50 %

Les entreprises canadiennes sont désavantagées par rapport à leurs homologues des États-Unis et du Royaume-Uni, qui appliquent de critères de contrôle plus clairs en matière de sanctions. Aux États-Unis, la règle du 50 % de l’Office of Foreign Assets and Control (OFAC) prévoit que les entités détenues à 50 % ou plus par une ou plusieurs personnes visées par des sanctions sont automatiquement bloquées. Au Royaume-Uni, l’Office of Financial Sanctions Implementation applique un critère semblable : une entité est détenue ou contrôlée par une autre personne lorsque celle-ci détient plus de 50 % des actions ou des droits de vote. Le premier volet du critère du contrôle canadien applique une norme de 50 % ou plus qui correspond à l’approche américaine, à cette exception près que le critère canadien n’envisage pas expressément la possibilité que plusieurs personnes visées par des sanctions puissent posséder individuellement moins de 50 % d’une entité, mais qu’elles puissent cumulativement dépasser le seuil de 50 %.

Le critère de la composition ou des pouvoirs du conseil d’administration

Le Canada propose par ailleurs le recours à un autre critère, qui a trait à la capacité de modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration. Ce critère nécessitera des évaluations supplémentaires complexes d’éventuelles ententes de « contrôle » présumé lorsqu’une personne visée par des sanctions détient des titres de participation inférieurs à 50 %.

Contrairement aux États-Unis, la proposition canadienne élargit considérablement le champ d’application du contrôle présumé en l’étendant aux entités dans lesquelles les personnes visées par des sanctions ne détiennent que des titres de participation mineurs. Contrairement au Royaume-Uni, qui considère la détention de 50 % des droits de vote et la capacité de [traduction] « nommer ou de révoquer la majorité du conseil d’administration » comme des indicateurs de contrôle, la définition proposée par le Canada n’exige pas la capacité d’influer sur la majorité du conseil d’administration, mais seulement celle de modifier sa composition ou ses pouvoirs d’une manière ou d’une autre.

La proposition canadienne est particulièrement préoccupante en raison de l’inclusion des mots « même indirectement » et parce qu’il sera difficile, voire impossible, pour les tiers de déterminer si une entité visée par des sanctions peut avoir une certaine capacité d’influer sur les pouvoirs ou la composition du conseil. Par exemple, dans de nombreuses sociétés fermées, les actionnaires ont le droit de nommer un administrateur, ce qui ne constituerait pas un contrôle de l’entité au sens habituel du concept, mais serait considéré comme un contrôle, peu importe la composition du conseil d’administration.

Le critère de la capacité de diriger les activités de l’entité

Le troisième volet du critère du contrôle réputé est tout aussi problématique. La possibilité de diriger les activités de l’entité « même indirectement et par tout moyen » est un concept très large, et les « activités » suffisantes pour donner lieu à l’application de ce critère ne sont pas définies. La loi semble utiliser une norme objective (« il est raisonnable de conclure ») plutôt qu’une norme subjective de connaissance réelle du tiers. Cependant, on ignore comment le critère du caractère raisonnable serait appliqué dans le cas d’un tiers qui n’a pas accès à des informations confidentielles sur la personne visée par des sanctions et sur sa relation avec une entité distincte dans laquelle elle détient une participation minoritaire non spécifiée.

Conformité

Les entreprises et les particuliers assujettis aux lois canadiennes sur les sanctions devront peut-être réévaluer leurs activités avec les entités qui sont associées d’une façon ou d’une autre à des personnes visées par des sanctions, même lorsque l’actionnariat est très faible.

Le projet de loi C-47 propose de nombreuses autres modifications aux dispositions canadiennes sur les sanctions. Le groupe du commerce international de TRC-Sadovod demeure disponible pour fournir des conseils sur ces modifications potentielles. Il est important de signaler qu’aucun des changements susmentionnés n’est définitif; ils font l’objet d’un débat et pourraient être modifiés au cours des prochaines semaines, à mesure que le Parlement étudie le projet de loi.

Convergence de la réglementation en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et de sanctions

Les entreprises canadiennes, en particulier celles du secteur financier, doivent également prendre conscience de la convergence croissante entre les régimes canadiens de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et de sanctions.

Par exemple, le budget 2023 du Canada souligne que la collaboration du Canada avec ses partenaires du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes a permis de bloquer ou de geler des avoirs détenus par des personnes ou des entités visées par des sanctions d’une valeur de plus de 58 milliards de dollars[3]. Malgré cet impact important, le Groupe de travail note que des Russes visés ont réussi à échapper aux sanctions et, dans certains cas, à conserver l’accès aux fonds, à générer des revenus supplémentaires et à se procurer des articles dont l’exportation est contrôlée et sanctionnée[4]. Ils y parviennent dans bien des cas en recourant à des membres de leur famille ou à de proches collaborateurs pour assurer un accès et un contrôle continus, en utilisant des structures de propriété complexes et en utilisant des pays tiers pour faciliter l’expédition de marchandises sensibles vers la Russie.

Bon nombre de ces activités de contournement des sanctions correspondent à des typologies connues en matière de blanchiment d’argent.

Reconnaissant selon toute vraisemblance ce chevauchement croissant entre les sanctions et les mesures de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, le budget 2023 du Canada indique que le gouvernement fédéral a l’intention d’obliger les intervenants du secteur financier à déclarer à CANAFE, l’unité du renseignement financier du Canada, des renseignements liés aux sanctions. À l’heure actuelle, selon les lois canadiennes sur les sanctions, les institutions financières doivent faire rapport à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ou au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et à leur organisme de réglementation des services financiers. De plus, le projet de loi C-47 confère au ministre des Affaires étrangères le pouvoir de communiquer au CANAFE tout renseignement pertinent à la prise ou à l’exécution de décrets concernant les sanctions canadiennes[5].

Le budget 2023 confirme également l’engagement du gouvernement à créer un registre public de la propriété effective comme outil pour lutter contre le contournement des sanctions et le recyclage des produits de la criminalité. À l’heure actuelle, les sociétés privées constituées ou prorogées sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions doivent tenir un registre dans lequel elles consignent certains renseignements sur les « véritables propriétaires » et la « propriété effective », ce qui signifie que les particuliers ayant un « contrôle important » d’une société (ce qui s’entend en général des particuliers ayant au moins 25 % des droits de vote ou de la valeur de l’ensemble des actions en circulation de la société)[6]. Des changements ont été apportés l’an dernier qui, une fois en vigueur, obligeront les sociétés à déclarer annuellement à Corporations Canada des renseignements sur la propriété effective[7]. De plus, le projet de loi C-42 propose une modification qui obligerait Corporations Canada à rendre publics certains renseignements sur la propriété effective[8], conformément aux mesures prises par d’autres pays, dont le Royaume-Uni[9]. Le gouvernement fédéral s’est engagé à mettre en place ce registre d’ici la fin de l’année 2023.

Les entreprises doivent s’assurer que leurs programmes de conformité en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et de sanctions sont harmonisés. Elles doivent aussi identifier avec précision les entités et les opérations à risque élevé. Elles devront également peut-être revoir et réviser leurs processus de diligence raisonnable afin de mieux identifier les véritables propriétaires, compte tenu de l’attention accrue portée à cet aspect de la conformité.

Bulletins précédents publiés depuis l’entrée des troupes russes en Ukraine en 2022

Il s’agit du neuvième bulletin de TRC-Sadovod sur les sanctions depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022[10]. Notre équipe des sanctions et du commerce international continue d’aider les clients à se conformer et de les informer des tendances et des développements en matière de sanctions et de conformité aux mesures de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité. Nous adapterons notre offre de services en fonction de l’évolution de la situation.

Veuillez communiquer avec nous pour savoir comment les changements apportés aux lois et aux règlements affecteront votre entreprise.

[1] Plus précisément, la Loi sur les mesures économiques spéciales, L.C. 1992, ch. 17, et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), LC 2017, ch. 21.
[2] Projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, 1resession, 44e législature 2023, art. 253
[3] Budget 2023, Un plan canadien (mars 2023), p. 188.
[4] Ministère des Finances du Canada, Conseil mondial sur le contournement des sanctions contre la Russie publié conjointement par le Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, 9 mars 2023.
[5] Plus précisément, le ministre des Affaires étrangères peut soumettre à CANAFE des renseignements relatifs à la prise ou à l’exécution d’une ordonnance concernant des activités restreintes ou interdites, ainsi que des ordonnances en vue de saisir et de bloquer des biens en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).
[6]  Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C-44, art. 2.1 et 21.1
[7] Projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures, 1resession, 44e législature, 2022, art. 431
[8] Projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, 1resession, 44e législature 2023, art. 4.
[9] Dans le but de lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le détournement des sanctions, le Royaume-Uni a créé un registre des entités à l’étranger qui sont tenues de déclarer et de tenir à jour les renseignements sur leurs propriétaires véritables aux termes de la Economic Crime (Transparency and Enforcement) Act, 2022. Ce registre est entré en vigueur en août 2022 et les entités concernées étaient tenues de s’inscrire avant janvier 2023. (Pour notre bulletin précédent sur l’incidence potentielle de cette loi sur les entreprises canadiennes, voir ici). Le Royaume-Uni a également instauré un registre des personnes ayant un contrôle important.
[10] Voir :

par William Pellerin, Neil Campbell et Tayler Farrell

Mise en garde 

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

© TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2023

Perspectives (5 Posts)Voir Plus

Featured Insight

Webinaire de FPC pour conseillers juridiques en entreprise pratiques | essentielles en matière de leadership : favoriser la résilience, l’engagement et l’impact de votre équipe

Joignez-vous à Marla Warner, accompagnatrice professionnelle et éducatrice certifiée en gestion du stress, pour un programme stimulant (présenté en anglais) qui vous aidera à vous concentrer sur l’amélioration du rendement, tout en soutenant l’engagement et le bien-être de votre équipe. Vous apprendrez comment favoriser la confiance et le respect au sein de votre équipe, les avantages de l’accompagnement, et pourquoi la gratitude, l’empathie et la compassion sont les superpouvoirs des leaders en 2023 et dans le futur.

Détails
Vendredi 24 novembre 2023
Featured Insight

Webinaire de TRC-Sadovod sur l’emploi et les relations de travail 2023

Joignez-vous à nous dans le cadre du webinaire annuel de TRC-Sadovod sur l’emploi et les relations de travail. Nous y traiterons des tendances actuelles, des questions juridiques émergentes liées à l’emploi et nous offrirons des solutions concrètes pour vous aider à gérer votre personnel.

Détails
Jeudi 30 novembre 2023
Featured Insight

Mise à jour sur les transferts transfrontaliers de données au Canada et dans l’UE

Joignez-vous à des avocats spécialisés en protection de la vie privée de TRC-Sadovod et de GSK Stockmann, deux cabinets d’avocats de premier plan en droit des affaires au Canada et en Allemagne.

Détails
Mercredi 15 novembre 2023
Featured Insight

Le Canada et Taïwan concluent un arrangement de protection des investissements étrangers

L’APIE Canada-Taïwan marque un jalon dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique

Lire plus
6 Nov, 2023
Featured Insight

Enquête sur des pratiques commerciales trompeuses : règlement avec le bureau de la concurrence

Après une enquête sur des allégations de pratiques commerciales trompeuses, le Bureau de la concurrence conclut un règlement prévoyant une sanction de 3,25 M$.

Lire plus
2 Nov, 2023