Que valent les « dommages-intérêts moraux »? La Cour d’appel du Québec limite les cas où la frustration des consommateurs est un préjudice indemnisable.
Que valent les « dommages-intérêts moraux »? La Cour d’appel du Québec limite les cas où la frustration des consommateurs est un préjudice indemnisable.
Le 20 janvier 2020, la Cour d’appel du Québec a rendu son jugement dans l’affaire Meubles Léon c. Options Consommateurs[1]. Ce recours collectif portait sur des allégations de violations de la Loi sur la protection du consommateur (la « L.p.c. ») quant aux publicités concernant des plans de financement offerts aux consommateurs pour l’achat de meubles ainsi qu’aux frais facturés sur lesdits plans de financement.
Bien qu’elle ait convenu que Meubles Léon était responsable de ces pratiques interdites, la Cour d’appel a limité les montants que les membres du groupe pouvaient recouvrer, dans un jugement ayant des ramifications importantes pour les recours collectifs et l’interprétation de la L.p.c.
Contexte et faits
Meubles Léon est la filiale québécoise du détaillant canadien de meubles Leon’s Furniture. Dans le cadre de son modèle de vente, Meubles Léon propose des plans de financement à l’achat de ses produits. De 2000 à 2009, Meubles Léon a offert des plans de financement par l’entremise de CitiFinancière Canada (« Citi »). Meubles Léon en a fait la promotion dans ses publicités de meubles.
En 2008, Citi a fait face à des difficultés financières et a imposé des « frais annuels » de 21 $ aux participants de deux des plans de financement de Meubles Léon. Au début de 2009, Meubles Léon a cessé de faire affaire avec Citi et a commencé à offrir des plans de financement par l’entremise de Desjardins.
Option Consommateurs et Chantal Noël de Tilly, la personne désignée comme représentante du groupe, ont poursuivi Meubles Léon pour deux motifs. Premièrement, ils ont allégué que les publicités de Meubles Léon sur les plans de financement n’étaient pas conformes aux dispositions de la L.p.c. (la « demande liée aux publicités sur le crédit »). Deuxièmement, ils ont allégué que les frais annuels de 21 $ étaient également facturés en violation de la L.p.c. (la « demande liée aux frais annuels »). Le recours collectif a été autorisé, et il a été entendu sur le fond par la Cour supérieure du Québec.
La Cour supérieure a tenu Meubles Léon responsable dans le cadre des deux demandes. Elle a ordonné le remboursement de tous les frais annuels, a accordé 100 $ par membre du groupe à titre de dommages moraux et a ordonné le paiement de 1 000 000 $ en dommages punitifs. De ces dommages punitifs, 600 000 $ (85 $ par membre) ont été accordés pour la demande liée aux publicités sur le crédit et 400 000 $ (57 $ par membre) ont été accordés pour la demande liée aux frais annuels.
Jugement de la Cour d’appel
La Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge de première instance que Meubles Léon était responsable dans le cadre des deux demandes. Premièrement, la Cour d’appel a statué que la forme des publicités de Meubles Léon concernant les plans de financement contrevenait les règles de la L.p.c. sur la promotion des plans de financement dans les publicités concernant des biens et services. Deuxièmement, la Cour d’appel a conclu que Meubles Léon n’avait pas avisé les consommateurs qu’il était possible qu’ils soient tenus de payer des frais annuels. Toutefois, la Cour d’appel a considérablement restreint les dommages auxquels avaient droit les membres du groupe.
En premier lieu, la Cour a fait remarquer qu’un recours collectif antérieur concernant la demande liée aux publicités sur le crédit avait déjà fait l’objet d’un règlement. Mme Noël de Tilly était la seule membre du groupe du recours collectif antérieur à s’être exclue de ce règlement. Elle seule avait donc droit de recouvrer un montant dans le cadre de la demande liée aux publicités sur le crédit. Les autres membres du groupe avaient déjà bénéficié du règlement. Ils n’étaient pas en droit de percevoir de nouveau des dommages pour la demande liée aux publicités sur le crédit.
Toutefois, le plus important, c’est que la Cour d’appel a limité le montant que tous les membres du groupe pouvaient recouvrer en dommages moraux et punitifs.
1. Dommages moraux
En général, les dommages moraux sont accordés pour compenser les préjudices à l’intégrité morale d’une personne (par exemple, pour des « souffrances et douleurs morales »). Dans un premier temps, la Cour d’appel n’a pas accordé de dommages moraux à Mme Noël de Tilly relativement à la demande liée aux publicités sur le crédit. La Cour a analysé les témoignages et a conclu que Mme Noël de Tilly n’avait exprimé aucun mécontentement concernant la façon dont Meubles Léon avait annoncé ses plans de financement.
La Cour d’appel a également refusé d’accorder des dommages moraux concernant la demande liée aux frais annuels. Selon un précédent de la Cour suprême du Canada[2], si une publicité ne satisfait pas aux exigences de la L.p.c., le consommateur bénéficie d’une présomption de préjudice. Toutefois, la Cour d’appel a précisé que la présomption selon laquelle un préjudice existe n’est pas une présomption de la valeur monétaire de ce préjudice. Pour en revenir aux témoignages, la Cour d’appel a conclu que le mécontentement ou la frustration des membres du groupe devant subitement verser des frais n’atteignait pas le niveau nécessaire pour être qualifié de préjudice moral indemnisable.
2. Dommages punitifs
La Cour d’appel a réitéré que les dommages punitifs visent à inciter les contrevenants à rectifier leur comportement. La Cour a conclu que, dans le cas de la demande liée aux publicités sur le crédit, des dommages punitifs étaient justifiés pour empêcher Meubles Léon de poursuivre ses pratiques publicitaires. Comme déjà mentionné, cette demande a seulement été évaluée à l’égard de la demande de Mme Noël de Tilly. La Cour d’appel a confirmé l’octroi par le juge de première instance de 85 $ en dommages punitifs par membre, mais uniquement pour Mme Noël de Tilly. La condamnation n’était donc que de 85 $ en dommages punitifs.
La Cour d’appel a ensuite statué qu’aucun dommage punitif ne devrait être accordé pour la demande liée aux frais annuels. Meubles Léon avait cessé de faire affaire avec Citi en 2009 (Citi étant la partie qui impose les frais annuels de 21 $). Le comportement illicite a été rectifié et ne s’est pas poursuivi. La Cour d’appel a donc infirmé la conclusion du juge de première instance condamnant Meubles Léon au paiement de 400 000 $ en dommages punitifs pour la demande liée aux frais annuels.
Analyse
Ce jugement démontre que même s’il y a conclusion d’acte illicite, cela n’est pas nécessairement suivi d’une indemnisation pécuniaire. Ainsi, les réclamations de dommages moraux et punitifs en particulier devraient être examinées de près. Cette analyse devrait se faire à l’étape de l’autorisation d’un recours collectif afin d’éliminer des demandes fondées sur des allégations génériques de préjudice, comme c’est souvent le cas pour les réclamations de dommages moraux. Cela permettrait d’éviter que des poursuites inutiles aboutissent à une décision sur le fond qui conclut que les membres du groupe n’ont subi aucun préjudice ou ont subi un préjudice non-indemnisable selon les normes du droit civil.
Si vous faites l’objet d’un recours collectif, n’hésitez pas à communiquer avec le groupe Recours collectifs de TRC-Sadovod.
par Sidney Elbaz et Simon Paransky
[1] Meubles Léon ltée c. Option consommateurs, 2020 QCCA 44.
[2] Richard c. Time Inc, 2012 CSC 8, au paragraphe 123.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
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