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Projet de loi C-13 : la réponse d’Ottawa à la loi 96 impose notamment aux employeurs de compétence fédérale de nouvelles obligations sur le français au travail

24 mai 2023 Bulletin sur l'emploi et les relations de travail Lecture de 6 min

Le 15 mai, la Chambre des communes a adopté, à 301 voix contre une, le projet de loi C-13[1], qui vise notamment à édicter la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (la « Loi proposée »), laquelle a pour but de protéger la langue française au sein des entreprises privées de compétence fédérale faisant affaire au Québec et dans les régions à forte présence francophone. Les entreprises privées de compétence fédérale actives au Québec seront régies par la Loi proposée dès son entrée en vigueur, tandis que les entreprises actives dans les régions à forte présence francophone le seront deux ans suivant son entrée en vigueur[2].

Fait intéressant, la dernière version du projet de loi C-13, adoptée à la Chambre, est le fruit de discussions entre le ministre québécois de la Langue française, des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge, et la ministre fédérale des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, qui ont mené à d’importantes modifications renforçant la version initiale du projet de loi. Le gouvernement du Québec n’a pas manqué de saluer la législation qui en découle[3]. Le texte de loi est maintenant devant le Sénat, et le gouvernement espère que sa promulgation aura lieu avant la fin de juin, à temps pour la pause estivale des parlementaires.

Services aux consommateurs

La Loi proposée imposera aux entreprises des obligations sur l’usage du français dans les interactions avec les consommateurs et les employés actuels et potentiels, et elle s’appliquera aux entités fédérales (banques, transporteurs aériens, ferroviaires et maritimes, entreprises de téléphonie et de câblodistribution, etc.) dépassant un seuil d’employés, à définir par voie de règlement[4]. Il y aura cependant exclusion des milieux de travail et activités du secteur de la radiodiffusion[5]. En outre, le projet de loi C-13 laissera aux entreprises le choix d’être assujetties à la Charte de la langue française (Québec) (la « Charte ») ou à la Loi proposée[6].

Ce projet de loi accordera aux consommateurs québécois faisant affaire avec une entreprise visée par la Loi proposée le droit à des services et à des communications orales et écrites en français[7]. L’obligation de fournir des services en français vaudra pour tous les documents connexes reçus d’une entreprise, y compris les contrats[8].

Il demeurera permis aux entreprises de servir les consommateurs dans une autre langue, s’ils le demandent[9].

Effets sur les milieux de travail

Les effets de la Loi proposée sur les droits linguistiques au travail diffèrent peu de ce qu’impose la Charte aux entités de compétence provinciale.

Plus précisément, les employés auront le droit :

  1. d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français;
  2. de recevoir toute communication et toute documentation de l’entreprise privée de compétence fédérale visée par la Loi proposée, notamment les formulaires de demande d’emploi, les offres d’emploi ou de promotion, les contrats de travail, les documents liés aux conditions d’emploi, les documents de formation destinés aux employés, les préavis de licenciement, les conventions collectives et les griefs, en français;
  3. d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français[10].

Il ne sera pas interdit de communiquer ou de fournir de la documentation en anglais, pourvu que l’usage du français dans toute communication à large diffusion ou toute documentation soit au moins équivalent[11]. Les obligations de l’employeur concernant la langue des communications et des documents vaudront également pour les anciens employés[12] et les syndicats représentant des employés d’une entreprise privée de compétence fédérale[13].

À noter que la Loi proposée prévoit des exemptions quant à l’obligation générale, pour les entreprises, de fournir toute communication et toute documentation en français. Plus particulièrement, elle permettra :

  • de conclure avec un employé un contrat individuel de travail qui est un contrat d’adhésion (un contrat non négociable) exclusivement en anglais ou dans toute autre langue autre que le français, si l’entreprise et l’employé en conviennent et si l’entreprise avait déjà fourni à l’employé le contrat en français[14];
  • de conclure avec un employé un contrat individuel de travail – autre qu’un contrat d’adhésion – exclusivement en anglais ou dans toute autre langue autre que le français, si l’entreprise et l’employé en conviennent[15];
  • de communiquer avec un employé ou de fournir à ce dernier de la documentation exclusivement en anglais ou dans toute autre langue autre que le français, si l’entreprise et l’employé en conviennent, et ce même après la cessation de l’emploi[16].

Bien que ces exemptions ressemblent à celles de la Charte[17], la dernière, qui a trait aux communications et documents adressés aux employés, va plus loin que la Charte[18] : laquelle Charte prévoit que l’exemption devra être demandée par l’employé (plutôt que convenue entre les parties, comme le prévoit la Loi proposée) et ne pourra pas être invoquée pour certains documents (p. ex., formulaires de demande d’emploi, documents liés aux conditions d’emploi, documents de formation destinés aux employés).

Selon la Loi proposée, les employeurs pourront publier une offre visant à pourvoir un poste dans une langue autre que le français seulement s’ils la publient également en français, par des moyens atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions gardées[19].

En milieu syndiqué, il faudra rendre ou traduire en français les sentences arbitrales résultant de l’arbitrage d’un grief ou d’un différend relatif à la négociation, au renouvellement ou à la révision d’une convention collective visant des employés. Si la sentence est rendue seulement en français, il sera obligatoire de la traduire en anglais ou dans toute langue autre que l’anglais à la demande de l’une des parties à l’arbitrage[20].

Les employeurs seront également tenus d’indiquer à leurs employés que la Loi proposée s’applique à leur lieu de travail et de les informer de leurs droits et recours en vertu de cette loi. La Loi proposée exigera l’établissement d’un comité chargé d’élaborer des programmes pour généraliser l’usage du français à tous les niveaux de l’entreprise dans les lieux de travail. Une entreprise pourrait se voir tenue d’augmenter le nombre de personnes ayant une bonne connaissance du français de manière à en assurer l’usage généralisé[21], ce qui n’est pas sans rappeler les démarches de francisation imposées par la Charte à certaines entreprises de compétence provinciale.

Tout traitement défavorable d’un employé (p. ex., congédier, mettre à pied, rétrograder, déplacer, suspendre) au motif qu’il a décidé de parler français, qu’il n’a pas une connaissance suffisante d’une langue autre que le français ou qu’il a exercé un droit prévu à la Loi sera également interdit[22]. Les employeurs devront prévenir tout traitement défavorable à l’égard de leurs employés et faire cesser toute conduite de cet ordre portée à leur connaissance[23]. Avant d’exiger d’un employé la connaissance d’une langue autre que le français, l’employeur devra démontrer que cette connaissance s’impose objectivement. S’il publie une offre visant à pourvoir un poste qui exige une telle connaissance, il devra y expliquer en quoi cette exigence ne constitue pas un traitement défavorable[24].

Cela dit, contrairement à la Charte, la Loi proposée protégera d’un traitement défavorable les employés qui n’avaient pas une connaissance suffisante du français et qui occupaient un poste avant l’entrée en vigueur du texte législatif[25].

Mécanismes de mise en œuvre et recours en cas de manquement 

Si un consommateur, un ancien employé ou un employé potentiel estime qu’une entité a contrevenu à une disposition de la Loi proposée, il pourra porter plainte auprès du commissaire aux langues officielles du Canada[26]. Ce dernier demeurera habilité à traiter les plaintes des consommateurs et des employés, mais ne pourra pas procéder à une enquête de sa propre initiative[27]. S’il ne parvient pas à régler la plainte dans un délai raisonnable, le commissaire pourra s’en remettre au Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil »), avec le consentement du plaignant[28].

Le Conseil pourra, par ordonnance, enjoindre à l’employeur de se conformer aux dispositions et de prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :

  • permettre au plaignant de reprendre son travail;
  • le réintégrer dans son emploi;
  • lui verser une indemnité équivalant au plus à la rémunération qui, de l’avis du Conseil, lui aurait été payée en l’absence de la contravention;
  • lui verser une indemnité équivalant au plus à la sanction pécuniaire ou autre qui, de l’avis du Conseil, lui a été imposée par l’entreprise privée de compétence fédérale;
  • toute autre mesure qu’il juge équitable d’imposer à l’entreprise privée de compétence fédérale et de nature à contrebalancer les effets de la contravention ou à y remédier[29].

On remarque qu’au dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de la Loi proposée, et tous les dix ans par la suite, le ministre devra procéder à l’examen des dispositions et de l’application de ladite loi[30].

Conclusion 

La Loi proposée entraînera des changements importants et durables pour les entreprises privées de compétence fédérale qui, quoiqu’actives au Québec ou dans une région à forte présence francophone, n’avaient possiblement pas eu à se conformer à des exigences relatives au français par le passé. Bien que le champ d’application de la loi reste à être précisé par des règlements futurs, les obligations des entreprises de compétence fédérale relativement au français semblent enfin s’éclaircir.

[1] Projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, 44elégislature, 1resession, 70-71 Élisabeth II, 2021-2022 (première lecture) [C-13].
[2] Ibid., par. 71(5).
[3] D’un point de vue constitutionnel, l’applicabilité des lois linguistiques du Québec aux entreprises sous réglementation fédérale faisait débat depuis longtemps. Ce travail législatif donne à penser qu’un nouveau niveau concertation se serait installé.
[4] Ibid., art. 54, al. 2(1)a).
[5] Ibid., art. 54, art. 5.
[6] Ibid., art. 54, par. 6(1).
[7] Ibid., art. 54, art. 8.
[8] Ibid.
[9] Ibid., art. 54, par. 7(3).
[10] Ibid., art. 54, par. 9(1).
[11] Ibid., art. 54, par. 9(3).
[11] Ibid., art. 54, par. 9(1.1) et 9(2).
[12] Ibid., art. 54, par. 9.2(1) et 9.2(3).
[14] Ibid., art. 54, par. 9(4).
[15] Ibid, art. 54, par. 9(5).
[16] Ibid, art. 54, par. 9(6).
[17] Charte de la langue française, par. 41(2o).
[18] Ibid., par. 41(3o).
[19] Projet de loi C-13, art. 54, par. 9(2.1).
[20] Ibid., art. 54, art. 9.1.
[21] Ibid., art. 54, par. 10(1) et 10(1.1).
[22] Ibid., art. 54, par. 11(1) et 11(8).
[23] Ibid., art. 54, par. 11(6) et 11(7).
[24] Ibid., art. 54, par. 11(3) et 11(4).
[25] Ibid., art. 54, par. 11(2).
[26] Ibid., art. 54, art. 15 et par. 18(1), 18(1.1) et 18(1.2).
[27] Ibid., art. 54, par. 19(2).
[28] Ibid., art. 54, par. 21(1).
[29] Ibid., art. 54, art. 28.
[30] Ibid., art. 54, par. 42(1).

par Mireille Germain, Émile Catimel-Marchand, Jonathan Kalles et Gemma Walsh (stagiaire en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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