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La Loi sur le cannabis suscite l’intérêt du Bureau de la concurrence

6 septembre 2023 Bulletin Concurrence, anti-trusts et investissements étrangers Lecture de 8 min

La Loi sur le cannabis[1] (la « Loi »), entrée en vigueur en octobre 2018, a créé un marché licite rigoureusement réglementé pour la production, l’importation, l’exportation, la distribution et la vente de cannabis à usage récréatif au Canada. Le Parlement l’a adoptée car les mécanismes de contrôle traditionnels ne permettaient pas de protéger les jeunes et d’empêcher le marché noir d’être aussi lucratif. Il a ce faisant délaissé l’approche prohibitive qui avait jusque là été employée pour réglementer la consommation de cannabis et fait du Canada un pionnier dans le domaine.

En application de l’article 151.1 de la Loi, en septembre 2022, Santé Canada a mené un examen des premières répercussions sur les consommateurs, les producteurs et les citoyens, notamment au moyen d’une consultation publique[2]. En appui à cet examen, le Bureau de la concurrence a fait sa propre étude et publié un mémoire dans lequel il donne « des conseils fondés sur des données probantes afin d’éclairer l’examen et la modernisation » des politiques du Canada sur le cannabis[3]. Ce bulletin présente un survol des recommandations du Bureau.

1. Réduire les coûts de mise en conformité associés à l’obtention de licences

Le régime d’octroi de licences de la Loi et de son règlement[4] vise à créer un marché licite, diversifié et concurrentiel ainsi qu’une chaîne d’approvisionnement responsable pour les produits du cannabis au Canada. Des licences peuvent être obtenues pour la culture, la transformation et la vente de cannabis et pour des activités connexes.

Santé Canada a créé des licences « micro » pour soutenir les petits producteurs et aider les producteurs illicites à faire la transition vers le marché réglementé. Elles imposent des limites de production et de possession plus strictes, en échange de frais moins élevés et d’un allègement des obligations sur les mesures de sécurité physique. En juillet 2022, ces licences représentaient 38 % de toutes celles délivrées par le gouvernement fédéral, pour un total de 340. Malgré cela, les microcultivateurs n’ont produit que 0,9 % du cannabis séché non emballé dans tout le Canada et ont généré seulement 0,3 % des revenus d’octobre 2019 à décembre 2021[5].

Le Bureau de la concurrence considère que les exigences actuelles pour l’obtention d’une licence et les coûts liés à la réglementation représentent un obstacle à l’entrée au marché et à la concurrence. Il pointe du doigt les frais de licence et de demande, la construction ou le réaménagement d’installations, les mesures de sécurité physiques, les cotes de sécurité obligatoires et les garanties financières exigées par l’Agence du revenu du Canada.

Le Bureau de la concurrence craint que ces coûts ralentissent la croissance de nouvelles entreprises et les désavantagent par rapport aux producteurs illicites.

Sans prétendre que le marché du cannabis n’est pas suffisamment concurrentiel, le Bureau de la concurrence souligne que le nombre élevé de producteurs n’est pas nécessairement signe d’une saine concurrence. Il recommande à Santé Canada d’être proactif et d’atténuer le fardeau réglementaire que représente l’obtention de licences pour réduire les obstacles à l’entrée et à la croissance, favoriser l’innovation et accentuer la concurrence, au sein même du marché licite et contre le marché illicite[6].

2. Augmenter les limites de THC pour les produits comestibles à base de cannabis

La Loi tente aussi de contrôler la consommation de cannabis en limitant la teneur du THC dans le cannabis comestible, les extraits de cannabis et le cannabis pour usage topique[7]. Le THC est le principal ingrédient psychoactif du cannabis, et il est responsable de ses effets intoxicants. Il a certains effets thérapeutiques, mais une consommation excessive peut être nocive. Pour prévenir la surconsommation, le règlement pris en vertu de la Loi limite la teneur de THC permise dans différents produits.

Selon le Bureau de la concurrence, ces limites pourraient malencontreusement entraver la concurrence avec le marché illicite, surtout pour les produits comestibles. Les consommateurs les privilégient de plus en plus par rapport au cannabis séché, mais se les procurent encore trop souvent illégalement[8].

Les recherches suggèrent que les produits comestibles à concentration élevée de cannabis offerts sur le marché illicite sont un de ses principaux moteurs de viabilité[9]. Pour être légal, le cannabis comestible doit contenir tout au plus 10 milligrammes de THC par contenant[10]. Selon le Bureau de la concurrence, l’augmentation de cette limite à 100 milligrammes rendrait les produits licites plus concurrentiels, en raison de l’attractivité pour les consommateurs et de la réduction des coûts[11]. Cette approche semble avoir eu du succès aux États-Unis, où la limite de THC par contenant de cannabis comestible à usage récréatif est de 100 milligrammes dans la plupart des États, et où les produits comestibles représentent 11,8 % de toutes les ventes de cannabis, soit plus de deux fois leur part de marché au Canada (5,8 %)[12].

3. Assouplir les restrictions relatives à la promotion

Les opinions divergent quant aux restrictions applicables à la promotion des produits du cannabis. Certains militent pour un resserrement des normes au nom de la santé et de la sécurité publiques, et d’autres soutiennent que des règles plus souples permettraient de mieux informer les consommateurs au sujet des produits légaux et de donner au coup de pouce concurrentiel au marché licite[13]. Santé Canada dit avoir des preuves substantielles indiquant que les activités promotionnelles ont un effet important sur l’attrait, l’acceptation sociale, le niveau d’utilisation et la « normalisation » d’un produit. De plus, les jeunes sont particulièrement influencés par les images de marque et particulièrement vulnérables aux risques de santé associés à une consommation régulière de cannabis[14].

La Loi cherche à mettre en équilibre l’objectif de protection des jeunes et celui, tout à fait légitime, d’informer les consommateurs. La promotion est de façon générale interdite, et les publicités ne peuvent en aucun cas être attrayantes pour les jeunes, utiliser des témoignages ou des attestations, ou présenter un certain mode de vie. La promotion informative et la promotion de marques qui respectent ces restrictions sont autorisées, à condition que le mode de distribution employé respecte lui aussi des restrictions que la Loi prévoit pour empêcher les jeunes d’y avoir accès[15].

Les données de sondage recueillies depuis 2018 montrent que les consommateurs sont de plus en plus conscients des risques de santé associés à l’usage du cannabis depuis la légalisation. La plupart se sentent capables de faire des choix éclairés, même si la consommation tend vers la hausse. Par ailleurs, les jeunes sont mieux informés de certains méfaits potentiels du cannabis que les répondants plus âgés[16].

Santé Canada n’a pas indiqué quelle part de cette connaissance accrue des risques pouvait être attribuée à la publicité et aux étiquettes de mise en garde plutôt qu’aux campagnes d’éducation et de sensibilisation. Le ministère signale qu’il ne faut pas tirer de conclusions définitives de ce premier portrait, puisqu’il faut des années pour changer les mentalités et les habitudes de consommation, et que les répercussions de la COVID-19 sur la consommation de substances au Canada sont encore à l’étude[17].

Selon le Bureau de la concurrence, les restrictions de la Loi en matière de publicité rendent difficile la promotion des innovations dans la production de cannabis, ce qui empêche les producteurs de livrer une concurrence efficace. Il note aussi que les exigences sur l’emballage et l’étiquetage font en sorte que les producteurs peinent à se démarquer de leurs concurrents. Le Bureau est d’avis que, mises en commun, ces restrictions rendent la tâche difficile aux entreprises qui veulent informer les consommateurs, différencier leurs produits et fidéliser leur clientèle. Il recommande qu’elles soient modifiées pour que les entreprises puissent mieux présenter leur image de marque et dire ce qui les distingue de leurs concurrentes, au-delà du prix. Selon le Bureau, des règles plus souples sur la promotion donneraient plus de choix aux consommateurs et attireraient des gens qui autrement se tourneraient vers des vendeurs illicites[18].

4. Réduire les droits d’accise et harmoniser les politiques

Pour clore son rapport, le Bureau de la concurrence se penche sur deux points soulevés par des parties prenantes qui se rapportent à la concurrence dans le marché du cannabis, mais ne tombent pas sous l’égide de la Loi.

Premièrement, comme les produits du cannabis sont soumis à l’accise aux termes de la Loi de 2001 sur l’accise[19], toute entreprise souhaitant cultiver, produire ou emballer du cannabis doit obtenir une licence conformément à cette loi en plus de celle exigée par la Loi[20]. Les droits d’accise représentent une part de plus en plus importante des revenus des producteurs : leur incidence estimée sur les revenus bruts est d’au moins 30 %[21]. Le Bureau de la concurrence recommande l’instauration d’un calendrier de paiement trimestriel pour ces droits, comme l’a proposé le gouvernement du Canada, et d’une approche différenciée qui allégerait le fardeau des petits producteurs[22].

Deuxièmement, le Bureau de la concurrence a remarqué que le manque d’uniformité entre les politiques fédérales, provinciales et territoriales complique la tâche des producteurs qui ont des activités dans plus d’une juridiction. Ils ont par exemple de la difficulté à savoir comment commercialiser leurs produits parce que les exigences pour la distribution et la vente au détail varient d’un bout à l’autre du pays. Les incohérences du genre freinent l’innovation et retardent, voire empêchent, l’entrée de certains produits sur le marché. Le Bureau de la concurrence recommande plus de transparence, de clarté et de cohérence de la part de toutes les instances canadiennes pour aider les producteurs de cannabis à vendre leurs produits partout au pays et ainsi intensifier la concurrence à l’échelle nationale[23].

Conclusion

Le marché licite du cannabis en est à ses débuts, et les règles encadrant les producteurs, les détaillants et les fournisseurs continuent d’évoluer. Dans des secteurs similaires, comme l’alcool et le tabac, la réglementation est en vigueur depuis des décennies, mais nécessite tout de même des ajustements fréquents. L’alcool, dont la vente était autrefois totalement interdite[24], a maintenant un marché licite bien ancré qui jouit d’une certaine liberté de promotion[25]. Le tabac a de son côté une longue tradition de légalité, mais les producteurs sont astreints à des règles sur la publicité et l’emballage qui sont de plus en plus sévères en raison de préoccupations pour la santé publique[26]. L’état actuel des choses aurait été impensable pour les générations passées.

Cinq ans après l’entrée en vigueur de la réglementation, Santé Canada et le Bureau de la concurrence soutiennent que les données recueillies sur ses répercussions justifient d’apporter des modifications à la Loi. Santé Canada sollicite déjà des commentaires sur des modifications potentielles au Règlement sur le cannabis[27]. Le Bureau recommande quant à lui plus de souplesse, du moins pour ce qui est des coûts d’obtention de licences, des limites de teneur en THC et de la promotion. Pour qu’il y ait une véritable concurrence dans un marché où la réglementation est si complexe sans que les objectifs de santé publique en pâtissent, il faudra la coopération des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral, de même que la participation active des parties prenantes et des citoyens. S’il ajuste bien le tir, le Canada pourrait bientôt se targuer d’avoir un marché licite du cannabis concurrentiel et robuste qui accomplit les objectifs du gouvernement : protéger les jeunes, soutenir la diversité de producteurs et faire passer les profits des mains des producteurs illicites à celles d’entrepreneurs légitimes.

[1] L.C. 2018, c. 16.
[2] Santé Canada, « Le gouvernement du Canada lance l’examen législatif de la Loi sur le cannabis», 22 septembre 2022.
[3] Bureau de la concurrence Canada, « Créer un terreau fertile pour la concurrence», 26 mai 2023, p. 6-7 (« Bureau de la concurrence »).
[4] Règlement sur le cannabis, DORS/2018-144.
[5] Santé Canada, « Bilan des progrès. Légalisation et réglementation du cannabis au Canada », 20 octobre 2022, p. 13-14 (« Santé Canada »).
[6] Bureau de la concurrence, p. 22 et 27-28.
[7] Aucune limite n’a été fixée pour le cannabis séché, car on craignait que le marché légal peine à faire concurrence au marché illicite. Santé Canada, p. 5.
[8] Bureau de la concurrence, p. 30-31.
[9] Id., p. 30.
[10] DORS/2018-144, art. 102.7. De leur côté, les extraits de cannabis et le cannabis pour usage topique ne peuvent pas en contenir plus de 1 000 milligrammes par contenant. Id., art. 101.2.
[11] Bureau de la concurrence, p. 31-32.
[12] Id., p. 32-34.
[13] Santé Canada, p. 6.
[14] Santé Canada, p. 6.
[15] Loi sur le cannabis, art. 17. Voir aussi Loi sur le cannabis, art. 20-21.
[16] Santé Canada, p. 7-8.
[17] Id., p. 9.
[18] Bureau de la concurrence, p. 36-37.
[19] L.C. 2002, c. 22.
[20] Bureau de la concurrence, p. 37-39.
[21] Id., p. 39.
[22] Id., p. 40-42.
[23] Id., p. 42-43.
[24] Gerald Hallowell, « Prohibition au Canada», L’Encyclopédie canadienne (dernière modification le 13 novembre 2020).
[25] Voir par exemple, en Ontario, les Normes et exigences provisoires du registrateur pour les boissons alcoolisées, Annexe 2 : Lignes directrices du registrateur en matière de publicité et de promotion. Ces normes ont été adoptées en vertu de la Loi de 2019 sur les permis d’alcool et la réglementation des alcools, L.O. 2019, c. 15, annexe 22, art. 24.
[26] Santé Canada, « Règlement sur l’apparence, l’emballage et l’étiquetage des produits du tabac», juin 2023.
[27] Gazette du Canada, « Avis d’intention — Consultation sur les éventuelles modifications au Règlement sur le cannabis », 25 mars 2023.

par Joshua Chad, Emily Hush et Karandeep Lall (étudiant d’été en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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