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Le coronavirus : présage d’une nouvelle (ancienne) approche en matière de restructuration au Canada?

20 mars 2020 Bulletin sur la restructuration, la faillite et l’insolvabilité Lecture de 6 min

La pandémie mondiale de la COVID-19, jumelée à la guerre des prix du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie au moment le plus inopportun qui soit, a, en l’espace de quelques semaines seulement, considérablement perturbé les marchés mondiaux. Même si nous ne comprendrons pas vraiment le plein impact de la pandémie du coronavirus sur l’économie dans son ensemble avant plusieurs mois, voire des années, il semble de plus en plus probable que nous nous dirigeons vers une période de récession. Nous prévoyons que les entreprises devront se restructurer, d’une manière ou d’une autre, afin de répondre à leurs besoins en liquidités immédiats, ou pour assurer leur santé financière à long terme. Étant donné le risque d’un resserrement des marchés des financiers et l’incidence des efforts déployés par le gouvernement pour tenter de freiner la propagation du coronavirus, il se pourrait que les entreprises n’aient pas le temps ou les convictions nécessaires pour entreprendre une restructuration dans l’immédiat. Nous nous attendons à ce que certaines entreprises décident même de déposer immédiatement une procédure en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »), sans avoir de plan définitif ou de processus de vente rapide, afin de bénéficier d’une période de suspension des procédures prolongée jusqu’à ce que la situation se stabilise.

Défis à court terme

Un grand nombre de sociétés canadiennes (exerçant des activités à l’échelle nationale et/ou internationale) auront vraisemblablement besoin de procéder à une sorte de restructuration, que celle-ci soit formelle ou informelle. Le secteur du transport aérien et du voyage, suivi de près par les secteurs de l’hôtellerie et du divertissement, subiront vraisemblablement l’impact le plus immédiat des efforts déployés par les gouvernements canadiens et étrangers pour limiter la propagation du coronavirus. La fermeture des frontières entre les États-Unis et le Canada, en particulier, entraîne déjà des conséquences importantes pour les transporteurs canadiens, Porter ayant annoncé qu’elle suspendait ses vols et Air Canada et WestJet, les deux plus grandes compagnies aériennes du pays, ayant réduit considérablement leurs services.

Les restrictions sur les voyages ont également entraîné l’annulation de croisières, de conférences et d’événements sociaux, et les protocoles de « distanciation sociale » ont à leur tour entraîné le report des productions cinématographiques et télévisuelles à Toronto et à Vancouver, la suspension de pratiquement tous les principaux sports professionnels des ligues majeures et la fermeture des salles de spectacles et des cinémas partout au pays. Bien que certaines de ces entreprises pourraient être en mesure de tirer leur épingle du jeu malgré les problèmes de liquidité à court terme auxquels elles sont confrontées actuellement, personne ne peut savoir avec certitude pendant combien de temps la crise actuelle durera et si les dépenses de consommation reviendront rapidement aux niveaux où elles se situaient avant la crise. Ultimement, certaines de ces entreprises pourraient vouloir se protéger en se prévalant des dispositions en matière de restructuration de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité du Canada ou en invoquant les dispositions de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »), soit la loi du Canada portant sur la restructuration des grandes sociétés.

Les secteurs du pétrole et du gaz au Canada, qui subissaient déjà des pressions financières extrêmes, ont été doublement touchés, d’abord en raison du coronavirus, qui a entraîné une baisse de la demande, puis en raison de la guerre de prix internationale entre l’Arabie saoudite et la Russie. Il faut ajouter à cela les répercussions encore incertaines du dénouement des contrats à terme sur le pétrole conclus avec diverses compagnies aériennes, et le fait qu’il semble de plus en plus probable que nous assisterons à une légère augmentation du nombre de faillites parmi les sociétés d’énergie au Canada.

La pandémie de la COVID-19 aura de toute évidence également une incidence négative sur diverses entreprises manufacturières qui devront faire face à des interruptions de la chaîne d’approvisionnement, à des problèmes sur le plan de la main d’œuvre, à une baisse des dépenses de consommation et à la volatilité des marchés financiers. La fermeture récente de toute la production en Amérique du Nord par les quatre grands fabricants automobiles, notamment, pourrait avoir des conséquences immédiates et à long terme pour les fournisseurs de niveau 1, 2 et 3.

Retour au statu quo?

Dans la foulée de la crise financière mondiale de 2008, les restructurations au Canada sont devenues des opérations plus structurées et volontaires. Armées de nouveaux outils prévus par les modifications apportées en 2009 à la LACC, par exemple 363 types de vente, des règles portant sur le financement DIP codifiées ou des dispenses pour les fournisseurs essentiels, les entreprises se présentent maintenant devant les tribunaux, dans le cadre du dépôt d’une procédure sous le régime de la LACC, en ayant déjà en main un plan de restructuration « préventif » déjà approuvé par certains créanciers) ou un processus de vente avec un soumissionnaire paravent, la majeure partie de la planification, de la réflexion, des négociations avec les principaux intéressés et des démarches afin de garantir l’obtention d’un vote en faveur de ce plan ou de ce processus ayant déjà été effectuées bien avant la date de dépôt de la procédure. Cette approche, bien qu’elle soit habituellement moins onéreuse et plus rapide, prend quand même un certain temps et nécessite une source de financement adéquate permettant de stabiliser les activités de la société débitrice pendant la période qui précède le dépôt de la procédure en vue d’une restructuration comme telle.

Nous ne pensons pas que le temps joue en faveur des entreprises qui sont confrontées aux retombées de la pandémie de la COVID-19. La volatilité des marchés et l’incertitude quant à la durée et à la nature de la crise actuelle pourraient entraîner un resserrement des marchés du crédit, de sorte qu’il sera plus difficile pour les entreprises d’obtenir le type de financement provisoire dont elles ont besoin pour négocier un plan de restructuration avant le dépôt d’une procédure. Bien que la Banque du Canada et la Réserve fédérale aient toutes deux abaissé leurs taux d’intérêt et commencé à piger dans la boîte d’outils qu’elles avaient utilisés en 2008 pour soutenir la liquidité, il n’est pas encore garanti que ces interventions seront suffisantes à court terme. De plus, la rapidité des interventions du gouvernement (restrictions sur les rassemblements, fermetures obligatoires) pourrait faire en sorte que les entreprises n’aient tout simplement pas le temps de prévoir et de déposer une procédure sous le régime de la LACC de façon ordonnée.

Même si les entreprises parvenaient à obtenir du financement avant le dépôt d’une procédure sous le régime de la LACC ou du financement DIP, le fait que la COVID-19 touche particulièrement certains secteurs signifie que les sociétés exerçant des activités dans ces secteurs qui déposent une telle procédure pourraient se trouver à le faire essentiellement dans un marché d’acheteurs. Confrontées à des baisses de valeur en chute libre et à de l’incertitude, les entreprises pourraient décider volontairement de déposer une procédure sous le régime de la LACC sans plan de restructuration ou processus de vente proposé et, pour une période prolongée, de se mettre tout simplement à l’abri de leurs créanciers en vertu de l’ordonnance de suspension des procédures jusqu’à ce que ce que la situation soit plus tenable sur le plan financier et l’on que l’on puisse mieux évaluer toutes les conséquences de la pandémie. Autrement dit, il se pourrait que nous retournions aux origines mêmes de la pratique en vertu de la LACC, à savoir que le seul objectif de la suspension des procédures consiste à maintenir le statu quo afin d’accorder à une société un peu plus de temps pour régler ses problèmes financiers.

Nouveaux joueurs, nouvelles perspectives

Ce n’est pas tout le monde qui sera en faveur du dépôt d’une procédure de « refuge sur place » (shelter-in-place) en vertu de la LACC. Les fournisseurs, les clients, les locateurs et d’autres parties intéressées pourraient soulever le fait qu’une suspension prolongée sans plan nuit injustement à leur capacité de trouver de nouveaux clients ou de nouvelles sources d’approvisionnement. Ces principaux intéressés devront toutefois répondre aux arguments de la société débitrice concernant les coûts sociaux, les problèmes liés à l’évaluation et l’affectation inefficace du capital qui pourraient découler de la mise en œuvre trop tôt d’un plan ou d’une vente. Du strict point de vue du redressement, les parties intéressées tout comme les prêteurs pourraient en réalité préférer que la société attende la fin de la crise dans l’espoir que les évaluations s’améliorent et que le capital se rétablisse.

Un grand nombre d’entreprises devront également subir de nouvelles pressions dans la sphère des restructurations. Au cours des 10 dernières années, des fonds de capital-investissement sont devenus de plus en plus présents en tant que propriétaires d’entreprises canadiennes ou de prêteurs auprès de telles entreprises. Par exemple, selon Pitchbook, les investissements par les fonds de capital-investissement au Canada ont totalisé 22,3 milliards de dollars canadiens en 2018, ce qui représente un bond de 62 % sur le plan de la valeur des opérations par rapport à 2016. La présence des fonds de capital-investissement dans le cadre d’une restructuration soulève de nouveaux défis pour les sociétés et leurs conseils d’administration. En effet, des fonds de capital-investissement opportunistes pourraient tenter d’inciter une société débitrice à conclure une opération rapidement, afin de profiter de la baisse de valeur de la société pour récupérer leur investissement. Il sera particulièrement difficile pour les sociétés de résister à cette pression étant donné qu’il se pourrait fort bien que ce soit ces fonds de capital-investissement mêmes qui leur fournissent les liquidités qui leur permettent de poursuivre leurs activités. Les tribunaux devront s’assurer que les sociétés font preuve de la plus grande transparence possible afin d’éviter que des allégations de délit d’initié ne puissent être soulevées à leur encontre. Les fonds de capital-investissement pourraient également envisager la possibilité de s’aider eux-mêmes et garantir dans une certaine mesure l’indépendance du processus en s’assurant que les membres de leurs conseils d’administration ou de leurs comités sont indépendants.

par Tushara Weerasooriya, Waël Rostom et Adam Maerov

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

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