Réforme antitrust : et le Canada?
Réforme antitrust : et le Canada?
Plus tôt cette année, le gouvernement du Canada a annoncé une augmentation importante du budget du Bureau de la concurrence : 97 millions de dollars (CAD) sur les cinq prochaines années, puis 27 millions de dollars (CAD) supplémentaires chaque année par la suite. On pouvait crier victoire.
Cette victoire a été de courte durée puisque le Bureau a essuyé une défaite cet été en se voyant refuser deux demandes d’injonction qui visaient à empêcher la clôture de la transaction Secure/Tervita et à exiger un « engagement à garder à part » une fois la transaction conclue. Voir notre bulletin antérieur : Deuxième prise… Le commissaire échoue à deux reprises à faire bloquer une fusion par injonction.
Prenant acte des incidences d’un tel revers et des possibilités qui s’offrent au Bureau grâce au nouveau financement, et s’inspirant des tendances ailleurs dans le monde, le commissaire de la concurrence a prononcé le 20 octobre dernier un discours intitulé « Le Canada a besoin de plus de concurrence », envoyant un signal clair des changements que lui et son équipe du Bureau souhaitent voir. Vous l’aurez deviné : application plus sévère de la loi et plus d’argent!
Nous prévoyons commenter certaines de ces questions à mesure qu’elles évolueront au cours des prochains mois, mais vu l’étendue des suggestions formulées par le commissaire, nous proposons dans ce bulletin d’en faire état pour que les milieux des affaires d’ici et d’ailleurs les aient à l’œil.
Plus d’argent des fusions
Le commissaire a souligné le fait que, bien que la majeure partie des activités du Bureau soit financée par l’enveloppe budgétaire qu’il reçoit du gouvernement et qui vient d’être augmentée, les examens de fusions sont financés par les frais de dépôt, lesquels sont actuellement fixés au montant bien arrondi de 74 905,57 $ (CAD) pour chaque transaction devant faire l’objet d’un avis. Vu la complexité toujours plus grande de ces examens, le commissaire a laissé entendre que la prochaine fois que ces frais seront revus, soit dans moins de deux ans, la hausse sera probablement considérable.
Pouvoirs d’injonction
Le commissaire a exprimé de vives inquiétudes concernant les décisions sur les demandes d’injonction rendues récemment dans l’affaire Secure/Tervita, lesquelles ont permis la conclusion d’une transaction qui, a-t-il fait remarquer, était susceptible, de l’avis même du Tribunal, de causer un tort irréparable. Le commissaire a confirmé que ces décisions avaient notamment pour conséquence d’obliger le Bureau, comme nous le faisions remarquer dans notre bulletin antérieur, de concentrer ses efforts sur la préparation d’éventuels litiges très tôt dans le processus d’examen, ce qui a pour effet d’alourdir la charge du Bureau et, du moins dans certains cas, celle des parties qui fusionnent. Le commissaire a clairement indiqué que le Bureau demandera à ce que des modifications législatives soient apportées pour faire abaisser le seuil justifiant un redressement interlocutoire dans les affaires de fusion.
Défense axée sur les gains en efficience… encore et toujours!
Sans surprise, puisque c’est l’opinion exprimée par le Bureau depuis quelque temps, le commissaire est d’avis que la défense axée sur les gains en efficience qu’invoque le Canada est inadéquate.
Raison : la complexité qu’ajoutent les considérations liées aux gains en efficience aux examens de fusions. De plus, le commissaire a soulevé la question de savoir si, conceptuellement, les transactions qui font augmenter le surplus budgétaire du Canada, mais qui peuvent aussi entraîner une augmentation des prix pour les consommateurs, sont acceptables. Nul doute que le commissaire souhaite que le couperet s’abatte sur la défense axée sur les gains en efficience.
Sanctions
Le commissaire a aussi soulevé la question de savoir si les sanctions, à savoir une sanction administrative pécuniaire d’au plus 10 millions de dollars (CAD) pour abus de position dominante et publicité trompeuse et une amende d’au plus 25 millions (CAD) pour participation à un cartel, sont trop clémentes. Ces sanctions ont été introduites ou augmentées il y a une décennie, mais nous vivons dans une époque inflationniste : une hausse est à prévoir!
Accords de fixation des salaires et de non-débauchage
Dans l’état actuel du droit canadien, il est impossible d’imposer des sanctions pénales dans le cadre d’un accord entre acheteurs y compris un accord de fixation des salaires ou de non-débauchage ou de tout autre accord relatif à l’emploi. Cette question a suscité de nombreux débats au Canada et fait l’objet d’un encadrement législatif vigoureux aux États-Unis. Le commissaire a laissé entendre que la recriminalisation était envisagée, à tout le moins pour les questions relatives à l’emploi.
Abus privé
Le Canada jouit actuellement d’un régime hybride qui permet aux particuliers de faire appliquer (action en dommages-intérêts) les dispositions pénales de la Loi sur la concurrence et de présenter des demandes d’injonction concernant certaines pratiques. Ces droits accordés aux particuliers ne s’appliquent pas à l’abus de position dominante sur le marché. Dans son discours, le commissaire s’est dit en faveur d’un éventuel droit des particuliers de contester un comportement constituant un abus de position dominante. Le commissaire n’a toutefois pas précisé quelle forme ces contestations pourraient prendre.
Promotion de la concurrence
En terminant, le commissaire a signalé que le Bureau est d’avis que l’économie canadienne souffre d’un niveau d’inefficience engendré par des régimes de réglementation en matière de concurrence qui sont insuffisants à plusieurs égards. Il a fait savoir que le Bureau prévoit utiliser une partie de ses nouvelles ressources pour contribuer encore plus activement aux efforts de promotion de régimes réglementaires plus favorables à la concurrence.
L’univers antitrust est actuellement pris dans un tourbillon de projets de réforme, mais ici dans le Nord, nous commençons à nous sentir exclus. Dans son discours du 20 octobre, le commissaire semblait inviter la population canadienne à se joindre à ses efforts. Bien que les questions qu’il a soulevées représentent d’éventuels changements importants en droit canadien de la concurrence, le commissaire a néanmoins refusé l’invitation qu’on lui faisait d’ouvrir un débat plus large sur les objectifs que devrait viser le droit de la concurrence au Canada. Il est possible que cet aspect du débat qui a cours ailleurs dans le monde atteigne le Canada, mais pour l’instant, le commissaire semble vouloir se concentrer sur des objectifs ayant trait au bien-être des consommateurs. Il est certain que nous aurons l’occasion d’analyser de façon plus approfondie les nombreuses propositions de réforme du commissaire au cours des prochains mois. Le débat est lancé!
par James Musgrove et Sarah Stirling-Moffet
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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