Recours dans le domaine de la construction dans le cadre de projets publics : loi sur les travaux publics de l’Alberta et législation comparable ailleurs au pays
Recours dans le domaine de la construction dans le cadre de projets publics : loi sur les travaux publics de l’Alberta et législation comparable ailleurs au pays
Dans la décision Graham Construction and Engineering Inc v Alberta (Infrastructure)[1], la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a clarifié l’obligation imposée au demandeur de remplir les exigences prescrites en matière d’avis pour que sa réclamation soit valide sous le régime de la Public Works Act (« la PWA de l’Alberta »)[2].
La PWA de l’Alberta vise à protéger les personnes qui exécutent des travaux ou fournissent de l’équipement, des matériaux ou des services pour un « ouvrage public », c’est-à-dire un projet de construction qui a débuté aux termes d’un contrat conclu avec la Couronne provinciale (le gouvernement de la province) ou un mandataire de la Couronne.
Dans le cadre de projets privés, la Builders’ Lien Act de l’Alberta protège les sous-traitants et les ouvriers en leur accordant un privilège de construction sur le bien-fonds faisant l’objet d’une amélioration. La Loi ne lie pas la Couronne provinciale. La législature a déterminé qu’il serait contraire à l’ordre public de permettre aux sous-traitants impayés d’exercer le privilège de construction à l’égard d’un ouvrage public. Dans le cas contraire, il serait alors possible, par exemple, de mettre en vente un hôpital pour rembourser des sous-traitants impayés. C’est pour cette raison que la PWA de l’Alberta remplace le recours à la Builders’ Lien Act dans le cadre de projets publics.
La PWA de l’Alberta est une loi plutôt courte qui n’a pas souvent fait l’objet de décisions judiciaires. Dans l’affaire Graham Construction, la Cour a jugé qu’un demandeur devait se conformer aux dispositions relatives à l’avis de réclamation[3], décrites ci-après, pour obtenir un droit prioritaire en vertu de cette loi[4]. Le simple fait de déposer une facture n’est pas suffisant pour accueillir une réclamation en faveur d’un sous-traitant impayé[5]. La Cour a conclu qu’un demandeur ne pouvait obtenir une priorité de deuxième rang en se conformant [traduction] « pour l’essentiel » à la PWA de l’Alberta[6].
Le présent bulletin donne un aperçu de la PWA de l’Alberta et de la législation similaire ailleurs au pays qui prévoit des réparations d’origine législative pour les travaux exécutés dans le cadre de projets publics.
La Public Works Act de l’Alberta
Lorsqu’une personne ou les responsables d’un projet public sont légalement obligés de payer une autre personne ayant exécuté des travaux ou fourni des matériaux [traduction] « utilisés ou qu’il était raisonnablement nécessaire d’utiliser » pour la construction ou l’amélioration d’un ouvrage public et qu’ils omettent de le faire, la personne impayée peut déposer un avis de réclamation auprès du ministre ou du mandataire du gouvernement concerné[7]. Cet avis doit être envoyé par la poste dans les 45 jours après la dernière date à laquelle des travaux ont été exécutés ou que des matériaux ont été fournis[8]. Dans le cas de travaux routiers, la réclamation doit être déposée 30 jours après la dernière date à laquelle des travaux ont été exécutés ou que des matériaux ont été fournis, mais dans les 90 jours de cette date[9].
À la réception d’une réclamation, la Couronne doit donner avis à l’entrepreneur général et à sa caution dans les 30 jours. La Couronne jouit alors d’une grande discrétion quant à la façon de répondre à la réclamation :
- soit elle paie directement au demandeur une somme qu’elle estime appropriée et déduit celle-ci des sommes qu’elle doit à l’entrepreneur avec qui elle est liée contractuellement[10];
- soit elle verse à la Cour une somme qu’elle estime appropriée.[11] La Cour décide alors quelles réclamations seront réglées, en tout ou en partie, à partir des sommes versées.[12]
Si les sommes à verser à l’entrepreneur sont insuffisantes pour régler les réclamations déposées en vertu de la PWA de l’Alberta, la Couronne peut alors s’adresser à la caution de l’entrepreneur. Comme le confirme la Cour dans l’affaire Graham Construction, une réclamation valide aux termes de la loi accorde au demandeur une priorité sur toute somme due dans le cadre d’un marché de travaux publics[13]. Cette priorité se substitue à l’intérêt relatif au privilège de construction sur une amélioration dans le cadre d’un projet privé.
L’affaire Graham Construction
Contexte
Cette affaire découle de la construction d’un nouvel hôpital à Grande Prairie, en Alberta, pour laquelle la société Graham Construction était au départ l’entrepreneur général. Après la résiliation du contrat par Graham Construction en 2018, une multitude d’entrepreneurs ont réclamé leurs dus. Ces entrepreneurs ont par la suite déposé des avis de réclamation en vertu de la PWA de l’Alberta [14], visant à obtenir le paiement des sommes dues auprès du gouvernement de l’Alberta. Par suite de ces réclamations, la Couronne a versé plus de 30 millions de dollars à la Cour, en conformité avec la PWA de l’Alberta.
Certains des entrepreneurs n’ont pas utilisé le formulaire[15] requis par la PWA de l’Alberta, dont Graham Construction. Cette dernière avait simplement fourni des factures à Alberta Infrastructure, quoiqu’en respectant les délais de l’avis de réclamation prévus par la loi[16]. Lorsque Graham Construction a présenté une demande en 2019 pour que soient distribuées les sommes consignées à la Cour, dont les 3,5 millions de dollars qui lui étaient destinés, d’autres parties s’y sont opposées au motif que la demande n’était pas conforme à la PWA de l’Alberta. Cette prétention a été traitée séparément des autres réclamations déjà réglées sur consentement[17], faisant en sorte que des réclamations non réglées d’une valeur d’environ 8 millions de dollars soient en litige. En appel de la décision du protonotaire Schlosser, la question essentielle était [traduction] « de savoir si le protonotaire a commis une erreur en concluant qu’il y a deux catégories distinctes de demandeur au sens de la [PWA de l’Alberta] : celui qui s’est “conformé” et celui qui s’est “conformé pour l’essentiel” aux exigences relatives à l’avis prévues à l’article 14 »[18].
À retenir
En résumé, comme c’est le cas pour le privilège de construction, une conformité partielle équivaut tout de même à une non-conformité. Seules les personnes qui se conforment à la PWA de l’Alberta obtiennent une priorité et peuvent toucher les sommes versées à la Cour[19]. Voici ce qu’il faut donc retenir de l’affaire Graham Construction :
- La partie qui intente un recours en vertu de la PWA de l’Alberta doit respecter ses articles 14 et 15[20].
- L’avis prévu à l’alinéa 14(3)(b) qui doit être sous une [traduction] « forme que la Couronne estime satisfaisante » signifie la procédure établie par la PWA de l’Alberta, y compris le formulaire type d’avis de réclamation du gouvernement[21], et pas une simple facture[22].
- La partie qui ne se conforme pas aux dispositions de la PWA de l’Alberta conserve tout de même ses droits contractuels à l’égard de la partie qui a omis de payer, bien qu’elle ne puisse invoquer la réclamation prioritaire en vertu de la loi[23]. Toutefois, il n’est pas toujours sensé d’intenter de tels recours si la partie adverse n’est pas solvable.
- La Cour ne jouit pas d’un [traduction] « large pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 15(4) » pour décider qui sont les demandeurs légitimes[24].
Législation comparable
Province ou territoire | Législation | Couronne liée | Recours possibles pour le sous-traitant créancier |
Colombie-Britannique | Builders Lien Act, SBC 1997, c 45 | Partiellement[25] | |
Saskatchewan | The Builders’ Lien Act, SS 1984-85-86, c B-7.1, modifiée par The Builders’ Lien (Prompt Payment) Amendment Act, 2019, SS 2019, c 2[28] | Oui[29] |
|
Manitoba | The Public Works Act, c P300 de la CPLM | Non[31] | |
Ontario | Loi sur la construction, LRO 1990, ch C.30 | Oui[34] | |
Québec | Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu’aux sous-contrats publics qui y sont liés, RLRQ, ch C-65.1, r 8.01 (pris en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, ch C-65.1, art. 24.3) | Oui[37] | |
Nouvelle-Écosse | Builders’ Lien Act, RSNS 1989, c 277, modifiée par An Act to Amend Chapter 277 of the Revised Statutes, 1989, the Builders’ Lien Act, SNS 2019, c 12[40] | Oui[41] |
|
Nouveau-Brunswick | Loi sur les contrats de construction de la Couronne, LRN-B 2014, ch 105 | Oui[43] | |
Île-du-Prince-Édouard | Mechanics’ Lien Act, RSPEI 1988, c M-4 | Oui[46] | |
Terre-Neuve-et-Labrador | Mechanics’ Lien Act, RSNL 1990, c M-3 | Non[50] | Autres recours prévus par la common law |
Yukon | Loi sur les privilèges de construction, LRY 2002, ch 18 | Non[51] | Autres recours prévus par la common law |
Territoires du Nord-Ouest | Loi sur le privilège des constructeurs et des fournisseurs de matériaux, LRTN-O 1988, ch M-7 | Non[52] | Autres recours prévus par la common law |
Nunavut | Loi sur le privilège des constructeurs et des fournisseurs de matériaux, LRTN-O (Nu) 1988, ch M-7 | Non[53] | Autres recours prévus par la common law |
Conclusion
Le groupe national de la construction de TRC-Sadovod possède une grande expérience des projets de construction et serait ravi de vous guider dans les règles des régimes provinciaux et territoriaux.
[1] Graham Construction and Engineering Inc v Alberta (Infrastructure), 2021 ABQB 184 [Graham Construction 2021].
[2] Public Works Act, RSA 2000, c P-46 [AB PWA].
[3] AB PWA, précité, note 2, par. 14(3).
[4] Graham Construction 2021, précité, note 1 au par. 66.
[5] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 45 et 66.
[6] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 44 et 66 (infirmant la conclusion du protonotaire Schlosser sur ce point).
[7] AB PWA, précité, note 2, par. 14(1).
[8] AB PWA, précité, note 2, par. 14(3.
[9] AB PWA, précité, note 2, par. 14(2).
[10] AB PWA, précité, note 2, art. 15(1) (déduite des sommes consignées par l’entrepreneur auprès du gouvernement provincial).
[11] AB PWA, précité, note 2, par. 15(4).
[12] Ibid. Voir p. ex. la décision Graham Construction and Engineering Inc v Alberta (Minister of Infrastructure), 2019 ABQB 543 [Réclamations réglées de l’affaire Graham Construction].
[13] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 50 et 66.
[14] AB PWA, précité, note 2, art. 14.
[15] Voir la page 3 du formulaire d’avis de réclamation du ministère.
[16] Graham Construction 2021, précité, note 1 au par. 39.
[17] Réclamations réglées de l’affaire Graham Construction, précité, note 12.
[18] Graham Construction 2021, précité, note 1 au par. 19.
[19] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 45 et 48.
[20] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 49 à 52, citant Alberta v Gall (First Steel Fabricating Ltd.), 1983 CanLII 1032 (AB QB), 45 AR 384; Moonview Builders Ltd v Alberta Housing Corporation, 1983 CanLII 1009 (AB QB), 24 Alta LR (2d) 66.
[21] Voir la page 3 du formulaire d’avis de réclamation du ministère.
[22] Graham Construction 2021, précité, note 1 au par. 42.
[23] Graham Construction 2021, précité, note 1 aux par. 46 et 58.
[24] Graham Construction 2021, précité, note 1 au par. 55.
[25] On suppose que l’exception statutaire au principe selon lequel la Couronne est liée comprend les dispositions de la loi [traduction] « qui portent sur des biens réels aux sens prévus par la loi » : Engineering & Plumbing Supplies Ltd v Seaboard Excavating Ltd, 1988 CarswellBC 293 at para 11, 29 BCLR (2d) 309 (Co Ct)); les organismes du gouvernement provincial ne sont pas liés par la Loi : Compagnie d’assurances Fidélité du Canada et autres c. Cronkhite Supply et autres, [1979] 2 RCS 27, 13 BCLR 33. À l’inverse, l’alinéa 5(8)(a) et le paragraphe 31(6) de la Loi qualifient le gouvernement de provincial de « propriétaire », ce qui pourrait lier la province à la Loi. Voir également le rapport no 89 du British Columbia Law Institute : Report on the Builders Lien Act (juillet 2020).
[26] par. 13(5) et art. 23.
[27] par. 2(1), art. 10 (action pour abus de confiance) et art. 26.
[28] N’entre en vigueur qu’au jour de la proclamation.
[29] À l’exclusion des routes, rues et ponts publics : art. 2 et 5.
[30] art. 21.21 (aux termes de l’art. 7 de la loi modificative de 2019).
[31] Loi d’interprétation, LM 2000, ch 26, art. 49.
[32] par. 13(1).
[33] par. 13(2) et 13(5). Voir aussi la Loi sur l’arbitrage, CPLM, c A120.
[34] par. 3(1).
[35] art. 16-17, 21-22.
[36] par. 13.5(1)-(2).
[37] Un « organisme public » admissible comprend notamment un ministère du gouvernement, un centre de services scolaires ou un établissement de services de santé et de services sociaux : art. 4.
[38] art. 19.
[39] art. 20.
[40] N’entre en vigueur qu’au jour de la proclamation.
[41] À l’exclusion des voies publiques, des travaux routiers ou des améliorations : par. 3(1) et (6).
[42] art. 4J (aux termes de l’art. 2 de la loi modificative de 2019); réglementation à venir (aux termes de l’alinéa 3(b) de la loi modificative de 2019).
[43] art. 2.
[44] par. 7(3); par. 19(2)-(3) (Règlement général).
[45] par. 19(1) (Regulations).
[46] al. 1(d), (j); Interpretation Act, RSPEI 1988, c I-8, art. 20.
[47] par. 15(1).
[48] art. 53.
[49] art. 2, par. 3(3), par. 14(9) et art. 33.
[50] Brook Construction (2007) Inc v Blackwood Contractors Limited, 2015 NLCA 18 aux par. 31 à 37, citant notamment l’Interpretation Act, RSNL 1990, c I-19, art. 12.
[51] Loi d’interprétation, LRY 2002, ch 125, art. 13.
[52] ]Loi d’interprétation, LTN-O 2017, ch 19, art. 8.
[53] ]Loi d’interprétation, LRTN-O (Nu) 1988, ch I-8, s 8.
Par Andrew Stead, Preet Saini et Jacob Stucken
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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