Recours collectifs : la Cour d’appel de l’Ontario fait la lumière sur le droit des membres du groupe d’interjeter appel après l’homologation de la transaction
Recours collectifs : la Cour d’appel de l’Ontario fait la lumière sur le droit des membres du groupe d’interjeter appel après l’homologation de la transaction
La Cour d’appel de l’Ontario a récemment rendu une décision intéressante pour qui veut contester une transaction homologuée qui tente d’écarter ou de modifier sa compétence[1]. En rejetant la motion en annulation des avocats du groupe, les juges ont rappelé que le droit d’interjeter appel devant leur cour ne peut être écarté contractuellement que si la loi l’autorise. En effet, lorsqu’une décision définitive sur les droits des parties à un litige a été rendue par une instance inférieure, la Cour d’appel a compétence pour entendre la cause en appel à moins d’indication contraire dans une loi.
La décision suggère aussi que toute contestation quant au droit d’un membre du groupe à un appel doit être soulevée à la première occasion et confirme que le délai pour interjeter appel commence lorsque le sens du jugement devient certain. Par ailleurs, la Cour d’appel a pour la première fois indiqué que les membres du groupe peuvent interjeter appel en vertu des droits généraux en la matière prévus dans la Loi sur les tribunaux judiciaires (« LTJ »).
Cette question étant réglée, l’appel interjeté par Class Action Capital (« CAC ») au nom de certains membres du groupe procédera par voie accélérée et sera mené par TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Appel et motion en annulation
L’appel s’inscrit dans le cadre d’un recours collectif contre des défendeurs accusés d’avoir formé un cartel illégal pour restreindre la concurrence et fixer les prix de produits à tubes cathodiques. Des transactions ont été conclues et homologuées par la Cour supérieure de justice le 20 avril 2018.
Le plan approuvé par les tribunaux pour la distribution (le « protocole de distribution ») prévoit un processus standard de correction des irrégularités obligeant l’administrateur des réclamations a) à informer un membre du groupe de toute irrégularité dans sa réclamation et b) à lui donner 30 jours pour la corriger, le tout avant de décider s’il a droit à une indemnité de règlement (la « correction des irrégularités »).
En début 2021, des membres du groupe ont porté la décision de l’administrateur des réclamations en appel pour contester le seuil utilisé pour évaluer la preuve d’achat. Le juge de première instance a conclu que l’administrateur avait interprété trop strictement la notion de « preuve documentaire » et n’avait pas bien justifié son rejet des réclamations visées, mais il n’a pas explicitement obligé l’administrateur à permettre la correction des irrégularités (la « décision de janvier »). Les avocats du groupe ont alors estimé que l’administrateur n’avait qu’à réexaminer les réclamations à la lumière des directives du juge de première instance. Ils ont transmis des avis de décision révisés, sans égard au fait que les clients de CAC avaient été privés du processus obligatoire de correction des irrégularités.
Vu les ambiguïtés de la décision de janvier et le fait que l’administrateur des réclamations n’a pas permis la correction des irrégularités avant de procéder à sa réévaluation, CAC a demandé des précisions au juge. Ce dernier a refusé de réexaminer la question et conclu que rien n’indiquait que l’administrateur n’avait pas respecté sa décision de janvier (la « décision de septembre »). CAC a donc interjeté appel devant la Cour d’appel.
Les avocats des membres du groupe et l’administrateur des réclamations n’ont pas nié que les clients de CAC n’ont pas eu l’occasion de procéder à la correction des irrégularités. Les avocats du groupe ont plutôt tenté de faire annuler l’appel, invoquant notamment une disposition du protocole de distribution stipulant que les appels devant la Cour supérieure de justice (qui a entendu les décisions de janvier et de septembre) étaient des décisions « finale[s] et exécutoire[s] et ne [pouvant] faire l’objet de tout autre appel ou d’une quelconque révision ». Selon eux, CAC avait donc déjà épuisé ses recours en appel avant de s’adresser à la Cour d’appel.
Une disposition contractuelle ne permet pas toujours d’évacuer les droits d’appel
La Cour d’appel a déconseillé aux avocats de tenter d’évacuer des droits d’appel [traduction] : « Le législateur sait comment retirer à notre Cour sa compétence, ou la modifier, pour des questions similaires. »[2] Elle a fourni deux exemples, tirés de la Loi de 1991 sur l’arbitrage et de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, où les parties sont expressément autorisées à écarter contractuellement ces droits. Comme aucune disposition de la Loi de 1992 sur les recours collectifs (la « Loi sur les recours collectifs ») ou d’une autre loi de l’Ontario ne permet de retirer à la Cour d’appel sa compétence, le juge Lauwers, se prononçant au nom de la Cour, a souligné ceci [traduction] :
« La compétence de notre Cour pour entendre des appels visant des ordonnances de la Cour supérieure de justice ne peut être écartée par voie conventionnelle que si une loi le permet. »[3]
Selon la Cour d’appel, une disposition faisant partie d’une transaction et d’un protocole de distribution homologués par un tribunal ne permet pas d’évacuer sa compétence. Les juges ont donc fait savoir aux avocats qu’ils ne pouvaient pas toujours se fier à des clauses contractuelles pour faire échec aux droits d’appel d’une partie[4].
Pas de droit d’appel aux termes de la Loi sur les recours collectifs? La LTJ s’applique
L’article 30 de la Loi sur les recours collectifs prévoit plusieurs règles indiquant à qui les parties doivent s’adresser pour interjeter appel dans différentes circonstances. Selon l’administrateur des réclamations, aucune des dispositions de cet article ne trouvait application en l’espèce, et donc CAC n’avait pas de droit d’appel. La Cour d’appel n’a pas souscrit à cet argument.
Les juges ont indiqué que le silence de l’article 30 quant aux possibilités d’appel des membres du groupe d’un recours collectif ne signifie pas qu’ils n’ont aucunement le droit d’interjeter appel. Selon eux, l’espèce et la jurisprudence établie dans Dabbs v. Sun Life Assurance Co. of Canada[5] et Bancroft-Snell v. Visa Canada Corporation[6] se distinguent sur les faits. Ces deux dernières décisions indiquent que les droits d’appel accordés aux membres d’un groupe dans la Loi sur les recours collectifs ne sont pas complétés par les dispositions générales prévues dans la LTJ.
Les juges, refusant d’appliquer les conclusions des affaires Dabbs et Bancroft aux faits d’espèce, ont conclu que dans un recours collectif, les droits généraux d’appel prévus dans la LTJ s’offrent aux membres du groupe si l’article 30 de la Loi sur les recours collectifs ne s’applique pas. Autrement dit, leurs droits d’appel ne se limitent pas à ceux que prévoit la Loi sur les recours collectifs[7]. La Cour a aussi glissé un mot sur l’accès à la justice [traduction] : « Une approche trop formaliste ne ferait que nuire à l’atteinte des objectifs du recours collectif, par exemple en obligeant chaque demandeur à présenter son propre appel, une façon de faire inefficace et coûteuse. »[8]
La Cour d’appel a finalement décidé qu’elle avait compétence pour entendre l’appel interjeté par CAC en vertu de la LTJ. La motion en annulation de l’administrateur des réclamations a été rejetée au motif que la disposition limitant les droits d’appel est inapplicable et que les droits d’appel accordés dans la Loi sur les recours collectifs ne sont pas les seuls qui s’offrent aux membres du groupe.
Précisions sur le début du délai de prescription
L’administrateur des réclamations a aussi avancé que le délai de 30 jours pour déposer un appel avait été dépassé. La Cour n’a pas retenu cet argument. Si le délai commence habituellement lorsque les motifs de la décision contestée sont rendus verbalement ou par écrit, la Cour d’appel a ici conclu que lorsqu’une incertitude persiste sur une question du jugement, le délai peut commencer lorsque son sens devient certain[9].
Dans cette optique, comme CAC et l’administrateur des réclamations ne s’entendaient pas sur la signification de la décision de janvier, le délai de 30 jours pour interjeter appel a commencé à courir seulement lorsque le sens est devenu certain, soit le 21 septembre 2021. La Cour a convenu que la décision de janvier était incertaine, et donc que le dépôt de l’appel par CAC le 20 octobre 2021 avait été fait à l’intérieur du délai de prescription de 30 jours[10].
Incidences de la décision
Les dispositions contractuelles limitant les droits d’appel sont maintenant sur la sellette. Les parties à une entente qui prévoit de telles limites ont tout intérêt à vérifier qu’elles sont bien permises par la loi. La question se pose souvent dans le contexte de transactions et de protocoles de distribution conclus dans le cadre de recours collectifs, puisqu’ils prévoient souvent un processus interne d’appel.
Par ailleurs, cette décision élargit les droits d’appel des parties dans un recours collectif. Les moyens d’appel prévus à l’article 30 de la Loi sur les recours collectifs ne sont pas exhaustifs et, lorsqu’ils ne s’appliquent pas, les membres du groupe peuvent maintenant s’adresser à la Cour d’appel en application de la LTJ.
Enfin, les parties doivent être conscientes que le délai pour interjeter appel peut être allongé en cas de litige sur le sens du jugement initial (pourvu que l’incertitude quant à l’interprétation soit sincère).
La principale question de cet appel, soit l’obligation ou non de l’administrateur de réévaluer les réclamations après la correction des irrégularités, reste à juger sur le fond. TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. représentera encore CAC dans ce dossier, selon une procédure accélérée.
[1] Fanshawe College of Applied Arts and Technology v. Hitachi, Ltd., 2022 ONCA 144 [Fanshawe].
[2] Fanshawe, par. 17.
[3] Fanshawe, par. 17.
[4] Fanshawe, par. 18.
[5] (1998), 41 O.R. (3d) 97 (C.A.) [Dabbs].
[6] 2019 ONCA 822 [Bancroft].
[7] Fanshawe, par. 20.
[8] Fanshawe, par. 23.
[9] Fanshawe, par. 25-26.
[10] Fanshawe, par. 31.
par Brett Harrison, Paola Ramirez et Anthony Labib (stagiaire en droit)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022
Perspectives (5 Posts)Voir Plus
Webinaire de FPC pour conseillers juridiques en entreprise pratiques | essentielles en matière de leadership : favoriser la résilience, l’engagement et l’impact de votre équipe
Joignez-vous à Marla Warner, accompagnatrice professionnelle et éducatrice certifiée en gestion du stress, pour un programme stimulant (présenté en anglais) qui vous aidera à vous concentrer sur l’amélioration du rendement, tout en soutenant l’engagement et le bien-être de votre équipe. Vous apprendrez comment favoriser la confiance et le respect au sein de votre équipe, les avantages de l’accompagnement, et pourquoi la gratitude, l’empathie et la compassion sont les superpouvoirs des leaders en 2023 et dans le futur.
Webinaire de TRC-Sadovod sur l’emploi et les relations de travail 2023
Joignez-vous à nous dans le cadre du webinaire annuel de TRC-Sadovod sur l’emploi et les relations de travail. Nous y traiterons des tendances actuelles, des questions juridiques émergentes liées à l’emploi et nous offrirons des solutions concrètes pour vous aider à gérer votre personnel.
Mise à jour sur les transferts transfrontaliers de données au Canada et dans l’UE
Joignez-vous à des avocats spécialisés en protection de la vie privée de TRC-Sadovod et de GSK Stockmann, deux cabinets d’avocats de premier plan en droit des affaires au Canada et en Allemagne.
Le Canada et Taïwan concluent un arrangement de protection des investissements étrangers
L’APIE Canada-Taïwan marque un jalon dans la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique
Enquête sur des pratiques commerciales trompeuses : règlement avec le bureau de la concurrence
Après une enquête sur des allégations de pratiques commerciales trompeuses, le Bureau de la concurrence conclut un règlement prévoyant une sanction de 3,25 M$.
Recevez des mises à jour directement dans votre boîte de réception. Vous pouvez vous désabonner en tout temps.