Taxe sur le luxe du Canada : difficultés pratiques pour le secteur de l’aviation
Taxe sur le luxe du Canada : difficultés pratiques pour le secteur de l’aviation
Taxe sur le luxe du Canada : difficultés pratiques pour le secteur de l’aviation
La Loi sur la taxe sur certains biens de luxe fédérale (communément appelée la « taxe sur le luxe ») est entrée en vigueur le 1er septembre 2022. Globalement, cette loi impose sur certains aéronefs et véhicules automobiles dont la valeur est supérieure à 100 000 $ et sur certains navires dont la valeur est supérieure à 250 000 $ une taxe équivalant à au plus 10 % de la valeur du véhicule au moment de sa vente, de son importation ou de sa location, sous réserve de certaines exceptions.
Or, malgré les conséquences importantes qu’elle est appelée à avoir sur des secteurs névralgiques, la taxe sur le luxe demeure mal comprise, essentiellement en raison du défaut du ministère des Finances et de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») d’émettre des directives claires et opportunes.
Rétablir les faits
Introduite dans l’annonce du budget d’avril 2021, la taxe sur le luxe était présentée comme une taxe imposée aux riches acheteurs de véhicules de luxe pour compenser les vastes dépenses publiques dans la foulée de la pandémie de COVID-19.
Toutefois, l’avant-projet de loi publié près d’un an plus tard a révélé que dans l’ensemble, la taxe sur le luxe ne s’applique pas aux acheteurs ou aux locataires des véhicules. Au contraire, ce sont plutôt les vendeurs, locateurs et importateurs inscrits qui en sont légalement responsables. Par conséquent, le vendeur ou le locateur inscrit devra s’assurer que l’information sur la taxe sur le luxe est indiquée adéquatement dans les modalités de l’opération avec le client pour être en mesure d’en récupérer le montant.
De plus, la taxe sur le luxe s’applique de manière générale aux aéronefs comptant au plus 39 places, vendus en application d’un accord conclu après le 1er janvier 2022 et fabriqués après 2018, mais pas aux aéronefs usagés qui répondent aux critères suivants : (i) l’aéronef est immatriculé avant septembre 2022 auprès d’un gouvernement autrement qu’à une fin qui est accessoire à sa fabrication, à sa mise en vente ou à son transport; (ii) un « utilisateur » en avait la possession avant septembre 2022[1]. Cela signifie que l’exception susmentionnée ne s’appliquerait pas à un aéronef de démonstration invendu détenu par un fabricant ou un concessionnaire à moins que l’aéronef ait été fabriqué avant 2019 (une autre exemption pourrait tout de même s’appliquer). Étant donné que les aéronefs récents sont vraisemblablement moins énergivores et plus sécuritaires que les anciens modèles, on peut se demander pourquoi le gouvernement a choisi d’avantager ainsi les aéronefs usagés.
Enfin, il est fortement déconseillé d’immatriculer un aéronef à l’extérieur du Canada pour tenter d’éviter la taxe sur le luxe. Premièrement, la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe comprend une interprétation large de l’importation basée sur celle de la Loi sur les douanes[2]. Deuxièmement, la simple utilisation d’un aéronef au Canada par un propriétaire peut déclencher l’application de la taxe sur le luxe, peu importe le lieu d’immatriculation de l’aéronef[3]. Troisièmement, la taxe sur le luxe est dotée d’une série de mesures anti-évitement précises et générales, et prévoit des pénalités substantielles en cas d’infraction.
Contexte politique
Dans un rapport produit en mai 2022, le Bureau du directeur parlementaire du budget estimait que la taxe sur le luxe entraînerait un recul des ventes d’aéronefs de l’ordre de 30 millions de dollars par année. Ce chiffre, étonnamment bas, est inférieur au prix d’achat typique d’un avion à réaction de taille moyenne. Par comparaison, selon un sondage informel mené auprès d’avionneurs, la valeur au détail des opérations déjà annulées à cause de la taxe sur le luxe se chiffre à plus d’un milliard de dollars.
À noter que les deux principaux syndicats représentant le secteur de l’aviation au Canada, Unifor et l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale, ont manifesté leur opposition à la taxe sur le luxe et exprimé leurs inquiétudes quant à ses conséquences sur le secteur de l’aviation et l’économie canadienne.
C’est en partie pourquoi la version définitive du projet de loi instaurant la taxe sur le luxe, adoptée fin juin 2022, comprenait une disposition ayant pour effet de retarder son application aux aéronefs au moins jusqu’au 1er septembre 2022. Cette disposition fait suite à une motion adoptée fin mai 2022 par le Comité permanent des finances de la Chambre des communes afin d’accorder un délai supplémentaire pour étudier l’effet de la taxe sur le secteur de l’aviation.
Malgré cela, le gouvernement a annoncé le 14 juillet 2022 que la taxe s’appliquerait tout de même aux opérations concernant des aéronefs à partir du 1er septembre 2022.
Faiblesses techniques et difficultés pratiques
Même si les consultations officielles ont révélé plusieurs faiblesses techniques au ministère des Finances, la loi instaurant la taxe sur le luxe a été adoptée sans qu’on y résolve quoi que ce soit. Voici quelques-uns de ces problèmes :
(1) L’exception pour usage commercial est beaucoup trop restrictive : dans bien des cas, elle exclut l’exploitation commerciale d’aéronefs
La taxe sur le luxe ne s’applique généralement pas à la vente d’un « aéronef assujetti admissible », ce qui comprend certains appareils qui, au moment de la vente et dans l’année qui suit, doivent être utilisés au moins 90 % du temps pour des « vols admissibles »[4] – service d’ambulance aérienne, service aérien de lutte contre les incendies, service aérien de formation en vol, ou exploitation commerciale répondant à certains critères. Ces critères posent les problèmes suivants :
- Le seuil de 90 % est très élevé comparativement au seuil d’« usage principal » de 50 % que l’on voit habituellement dans les critères sur l’utilisation commerciale d’actifs issus de la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise.
- Le « vol admissible » s’entend notamment d’un vol « effectué dans le cadre d’une entreprise d’un propriétaire » de l’aéronef, exploitée selon une attente raisonnable de profit[5] – sans que le terme « propriétaire » soit défini. On ne sait donc pas si les critères visent le propriétaire immédiat en common law ou un propriétaire indirect ou bénéficiaire. Il s’agit là d’un défaut très important : les aéronefs d’entreprise sont généralement détenus par une entité distincte aux fins de gestion des risques. C’est donc dire que l’exception pour usage commercial ne s’applique que quand l’entité propriétaire mène elle-même des activités commerciales, sauf si les activités d’un membre du groupe du propriétaire ont été prises en compte pour déterminer l’admissibilité.
- La définition de « vol admissible » exclut les vols pour « activités de loisir » ou « toute autre utilisation personnelle » d’un propriétaire ou d’un invité d’un propriétaire[6]. Un vol pourrait donc être inadmissible du fait de son objet sous-jacent, même si le vol est effectué de façon indépendante, selon des modalités commerciales. Pourtant, pour que les dépenses d’aéronef soient déductibles d’impôt, il faut que l’entité derrière l’aéronef – et non le passager – ait engagé les dépenses pour son entreprise.
- Dans un pays où de nombreuses régions sont privées des services des compagnies aériennes commerciales, les exploitants de vols nolisés jouent un rôle important en donnant la possibilité de voler à bord d’avions privés. Or, pour l’application de la taxe sur le luxe, un vol nolisé est admissible s’il s’avère à la fois que : (i) les sièges sont vendus individuellement; et (ii) la totalité ou la presque totalité des passagers sur le vol sont des particuliers qui n’ont aucun lien de dépendance avec la personne qui opère l’aéronef et toute personne qui est un propriétaire de l’aéronef[7]. La disposition est toutefois incompatible avec le fonctionnement de l’industrie, où les vols nolisés sont vendus comme tels et non au siège. Une exception aussi restrictive fait en sorte que la taxe s’applique en de nombreuses situations où un aéronef est exploité de façon indépendante selon des modalités commerciales (transport d’équipes sportives à des matchs à l’étranger, ou de mineurs sur un site isolé, par exemple).
(2) Chronologie et risques d’audit
On doit déterminer en amont si un appareil constitue un aéronef assujetti admissible (qui peut donc être soustrait à la taxe sur le luxe), selon qu’il répondra ou non au critère d’utilisation. Pourtant, on ne peut savoir qu’a posteriori si le critère est bien rempli, ce qui laisse entrevoir une multiplication des activités d’audit à l’ARC pour veiller au respect des règles. Ajoutons à cela les cas de figure où un changement d’utilisation annulerait l’admissibilité à l’exemption et déclencherait de manière inattendue l’application de la taxe[8]. Regrettablement, il n’y a aucune disposition qui prévoirait le remboursement de la taxe sur le luxe payée à l’achat de l’aéronef malgré un changement d’utilisation subséquent qui rendrait l’appareil admissible à l’exemption (contrairement au régime de la TPS/TVH, qui prévoit le remboursement de la taxe payée à l’acquisition d’une immobilisation s’il survient un changement à l’utilisation dans le cadre d’une activité commerciale).
(3) Aucun recours contre un acheteur
La responsabilité de la taxe sur le luxe incombe aux vendeurs, locateurs et importateurs inscrits, contrairement au régime de la TPS/TVH, où l’acheteur est responsable, et le vendeur se limite à un rôle de percepteur. Qui plus est, le régime de la TPS/TVH laisse au vendeur des recours pour prélever la taxe auprès de l’acheteur, un mécanisme absent de la loi sur la taxe sur le luxe. En d’autres termes, le vendeur inscrit porte la responsabilité de la taxe sur le luxe, et court le risque que l’acheteur ne la paie pas. C’est d’autant préoccupant que le vendeur est solidairement tenu responsable de la taxe ainsi que d’une pénalité de 50 %[9] s’il sait, ou aurait dû savoir, qu’une déclaration d’exemption est fausse. Vu l’ampleur des coûts en jeu, les vendeurs inscrits auront intérêt à prendre des mesures pour prouver que des vérifications diligentes ont été faites.
(4) Difficultés pour les importateurs
Pour que l’importation d’un aéronef soit exonérée de la taxe sur le luxe, l’importateur doit d’abord obtenir un certificat d’importation spécial auprès de l’ARC[10]. Ce mécanisme de demande est toutefois incompatible avec la réalité des importateurs. Le délai de traitement de la demande en question n’est pas encore connu, mais on note que d’autres certificats d’exonération de taxes de l’ARC peuvent être longs à obtenir. Or, de nombreux importateurs d’aéronefs qui remplissent les conditions d’obtention d’un certificat d’importation spécial et qui seraient normalement exonérés de la taxe sur le luxe ne peuvent pas attendre le temps nécessaire pour en obtenir un, car cela entraînerait un retard qui pourrait compromettre leur transaction.
(5) Difficultés pour les locateurs
Dans le cas d’un aéronef, la taxe sur le luxe devient généralement payable par un locateur au moment où il octroie à une autre personne le droit d’utiliser l’aéronef aux termes d’un bail[11] (sauf si l’opération est autrement exonérée). Cette obligation de paiement immédiat de la taxe pose des difficultés particulières aux locateurs du point de vue de la trésorerie. Premièrement, la taxe sur le luxe payable à cet égard est fondée sur la valeur totale de l’aéronef, plutôt que sur la valeur de la convention de bail; or, le locateur n’amortit pas nécessairement le coût total de l’aéronef sur la durée du bail. Deuxièmement, le locateur a un choix difficile à faire : soit il essaie de solder son passif lié à la taxe sur le luxe en demandant immédiatement un paiement unique à son client, soit il augmente le montant des versements du bail (auquel cas il financerait le coût de la taxe jusqu’à ce qu’elle ait été entièrement récupérée du client).
(6) Difficultés relatives à la vente de participations fractionnaires dans des aéronefs
De manière générale, les ventes de participations fractionnaires dans des aéronefs peuvent difficilement être exonérées de la taxe sur le luxe parce que la loi ne couvre pas véritablement ces opérations. Par exemple, en cas de vente d’un aéronef à plus d’un acheteur, la taxe est perçue au moment de la vente, à moins qu’un certificat d’exonération ne s’applique à chaque acheteur à ce moment-là[12]. Il suffit donc qu’un seul acheteur ne soit pas admissible à l’exonération pour que tout le groupe n’y soit pas admissible.
(7) Difficultés pour les écoles de pilotage
En apparence, la taxe sur le luxe n’est pas censée s’appliquer aux acquisitions d’aéronefs destinés principalement à être utilisés par des écoles de pilotage. Cependant, cela n’est valable que si 90 % ou plus des vols prévus des aéronefs sont des vols admissibles[13]. Il faut noter que les écoles de pilotage ne sont souvent pas propriétaires des appareils qu’elles utilisent pour la formation; elles les louent plutôt d’autres propriétaires, tout en permettant à ces derniers de les utiliser lorsqu’ils ne sont pas réservés à des fins de formation. Par conséquent, si 90 % ou plus des vols d’un aéronef donné, dont ceux de son propriétaire, ne sont pas effectués dans le cadre des activités de l’école de pilotage (ou pour d’autres des activités admissibles énumérées), l’aéronef n’est pas exonéré de la taxe sur le luxe.
Points à retenir
Comme on le voit, la taxe sur le luxe est associée à des dispositions complexes et lourdes, et elle reste mal comprise des membres du secteur de l’aviation. Il est fortement recommandé aux vendeurs, aux locateurs et aux importateurs d’aéronef au Canada de se familiariser pleinement avec les obligations d’inscription, de déclaration, de conformité et autres que leur impose la loi pour éviter les pénalités substantielles qui pourraient autrement s’appliquer. De plus, les vendeurs et les locateurs inscrits doivent impérativement indiquer dans les accords commerciaux avec leurs clients que tous frais associés à la taxe sur le luxe seront facturés dans le cadre de l’opération. Enfin, dans bien des cas, il est sans doute possible, moyennant une planification et une analyse adéquates, de réduire l’incidence de l’application de la taxe à certaines opérations.
[1] Selon la définition d’un « aéronef assujetti » à l’article 2 de la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe, L.C. 2022, ch. 10, art. 135. Tous les renvois à des lois aux présentes se rapportent à la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe.
[2] Paragraphe 20(1).
[3] Paragraphe 26(1).
[4] Voir les paragraphes 10(4) et 19(1), et l’alinéa 36(1)c).
[5] Alinéa 10(3)d).
[6] Id.
[7] Alinéa 10(3)b).
[8] Paragraphe 26(1). [9] Alinéa 110b).
[10] Paragraphe 21(5) et article 38.
[11] Paragraphe 25(1).
[12] Paragraphe 36(2).
[13] Sous-alinéa 10(3)a)(xi).
par Steven Sitcoff
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2022
Perspectives (5 Posts)Voir Plus
Les modifications à la Loi sur la concurrence progressent comme prévu
Le projet de loi C-56, la Loi sur le logement et l’épicerie à prix abordable, qui fait partie des efforts du gouvernement fédéral pour réformer la Loi sur la concurrence, a reçu la sanction royale.
La Commission d’accès à l’information du Québec présente un guide de rédaction d’une politique de confidentialité à publier sur un site Web
Résumé du guide de la Commission d’accès à l’information sur le contenu des politiques de confidentialité et leur rédaction en termes simples et clairs.
Mise à jour – les charges créées par ordonnance du tribunal peuvent aussi primer les réclamations de la Couronne sous le régime de la LFI
Les tribunaux canadiens confirment que les charges qu’ils créent par ordonnance prennent rang avant les fiducies réputées créées par la loi.
Attention, employeurs fédéraux : divers changements d’ordre réglementaire entreront en vigueur en 2024
Pour les employeurs fédéraux, l’année 2024 sera ponctuée de dates importantes concernant notamment le Code canadien du travail et la Loi sur l’équité salariale.
Nouvelles exigences en matière de transparence pour les sociétés fédérales
À compter du 22 janvier 2024, les sociétés de régime fédéral doivent déposer auprès de Corporations Canada certains renseignements sur les particuliers ayant un contrôle important.
Recevez des mises à jour directement dans votre boîte de réception. Vous pouvez vous désabonner en tout temps.