L’enregistrement de la marque de commerce d’un titulaire étranger radié pour cause de mauvaise foi
L’enregistrement de la marque de commerce d’un titulaire étranger radié pour cause de mauvaise foi
L’enregistrement d’une marque de commerce au Canada peut être radié s’il a été demandé de mauvaise foi[1].
Dans un bulletin antérieur[2], nous notions la disposition de la Cour fédérale du Canada (la « Cour ») à protéger des marques étrangères contre des acteurs canadiens de mauvaise foi. Dans sa décision récente Cheung’s Bakery Products Ltd. v. Easywin Ltd.[3] (« Cheung v. Easywin »), la Cour s’est aussi montrée disposée à protéger des marques canadiennes quand des titulaires de marque étrangers ont demandé l’enregistrement d’une marque de mauvaise foi.
Contexte
Cheung’s Bakery Products Ltd. (le « demandeur ») exploite une boulangerie-pâtisserie familiale à Vancouver, en Colombie-Britannique, depuis 1974. À la date de la décision Cheung v. Easywin, le demandeur exploitait dans la région métropolitaine de Vancouver quatre établissements employant les marques de commerce ci-dessous (collectivement les « marques du demandeur ») :
Easywin Ltd. (le « défendeur ») et ses entités liées, dont Saint Honore Cake Shop Limited (« Saint Honore »), fabriquent, distribuent et vendent des produits de boulangerie-pâtisserie et autres à Hong Kong, à Macao, en Chine continentale et dans d’autres marchés, dont le Canada.
Fondée en 1972, Saint Honore exploite une grande chaîne de boulangeries-pâtisseries à Hong Kong.
Le 23 juillet 2019, le défendeur a obtenu des enregistrements au Canada pour les marques de commerce ci-dessous (collectivement, les « marques du défendeur ») pour des emballages, divers produits alimentaires, dont des produits de boulangerie-pâtisserie, et des services de vente au détail et de gros s’y rapportant :
Le défendeur a déclaré qu’il employait ses marques au Canada au moins depuis le début d’août 2020 en association avec les biens et les services énumérés dans ses enregistrements.
Le demandeur et le défendeur sont des concurrents directs au Canada dans le secteur des produits de boulangerie-pâtisserie et des services connexes[4]. Le demandeur cherchait à faire radier les enregistrements du défendeur pour plusieurs raisons. Il faisait notamment valoir qu’il y avait risque de confusion entre les marques du demandeur et celles du défendeur, et que le défendeur avait demandé ses enregistrements de mauvaise foi[5].
L’analyse de la Cour fédérale
La Cour a établi qu’il y avait risque de confusion entre les marques du demandeur et celles du défendeur, au moins compte tenu (i) de la période pendant laquelle les marques du demandeur avaient été en usage au Canada,
(ii) de la similarité des marques des parties, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggéraient et (iii) du chevauchement important qui existait entre les biens et les services des parties et entre leurs canaux de distribution. Plus particulièrement, la Cour a indiqué que, en l’occurrence, le risque de confusion devait être évalué du point de vue du consommateur canadien moyen capable de lire et de comprendre les caractères chinois, puisqu’un tel consommateur est « [traduction] susceptible d’acheter les biens ou les services sur le marché sino-canadien où [le demandeur et le défendeur] offrent leurs produits et services de boulangerie-pâtisserie[6]. »
D’après la preuve présentée par les parties, la Cour a conclu que, à la vue des marques du défendeur, un consommateur du marché sino-canadien capable de lire et de comprendre les caractères chinois serait sans doute porté à penser que le défendeur était la même source de produits de boulangerie-pâtisserie que le demandeur[7].
De plus, la Cour a conclu que le défendeur « [traduction] a tout simplement fait fit des faits mêmes qui auraient dû lui donner à réfléchir avant de demander l’enregistrement des marques[8] ». En effet, avant que le défendeur ne présente sa demande d’enregistrement, son entité liée Saint Honore et le demandeur avaient eu un litige sur des questions comparables, que la Cour d’appel fédérale avait tranché en 2015[9]. En conséquence, au moment de demander l’enregistrement de ses marques le 26 septembre 2017, le défendeur connaissait le demandeur et savait que les parties ciblaient les mêmes consommateurs et offraient les mêmes types de produits et de boulangerie-pâtisserie. Compte tenu du litige antérieur entre le demandeur et Saint Honore, la Cour a jugé que le défendeur ne pouvait pas être convaincu qu’il était en droit de faire les demandes qui lui ont procuré ses enregistrements[10].
Notamment pour les raisons expliquées ci-dessus, la Cour a ordonné la radiation des enregistrements du défendeur[11].
Ce qu’il faut retenir
Si la « mauvaise foi » peut faire partie des motifs retenus par les tribunaux pour déclarer un enregistrement de marque de commerce invalide, cette expression n’est pas définie dans la Loi sur les marques de commerce. On lit plutôt dans la jurisprudence que la notion de « mauvaise foi » est flexible et doit être interprétée dans le contexte en question[12], [13]. Comme l’illustre l’affaire Cheung v. Easywin, la connaissance d’une marque déjà enregistrée et de l’emploi qu’en a fait son propriétaire au Canada entre en ligne de compte dans l’appréciation de la mauvaise foi. Les entités faisant des affaires au Canada seront rassurées de savoir que cette application contextuelle du droit canadien des marques de commerce quant à ce qui constitue de la « mauvaise foi » s’applique aussi bien aux acteurs canadiens qu’aux acteurs étrangers.
[1] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la « Loi »), à l’alinéa 18(1)e).
[2] Protection des marques étrangères : l’enregistrement d’une marque de commerce radié pour cause de mauvaise foi, 5 juillet 2022 (lien).
[3] Cheung’s Bakery Products Ltd. v. Easywin Ltd., 2023 FC 190 (« Cheung v. Easywin»).
[4] Cheung v. Easywin, au par. 3.
[5] Cheung v. Easywin, au par. 33.
[6] Cheung v. Easywin, au par. 53.
[7] Cheung v. Easywin, au par. 86.
[8] Cheung v. Easywin, au par. 90.
[9] Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12.
[10] Cheung v. Easywin, au par. 90.
[11] Cheung v. Easywin, au par. 91.
[12] Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, aux par. 25-26.
[13] Blossman Gas, Inc. c. Alliance Autopropane Inc., 2022 CF 1794, au par. 120.
par Pablo Tseng et Yue Fei
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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