La fin de l’« immunité » perçue des OAD? Ooki est une personne au sens de la Commodity Exchange Act
La fin de l’« immunité » perçue des OAD? Ooki est une personne au sens de la Commodity Exchange Act
Le 8 juin 2023, dans un jugement par défaut, le juge de district américain William H. Orrick a condamné l’OAD Ooki (« Ooki ») à une sanction civile de 643 542 $ pour avoir exploité illégalement une plateforme de négociation et agi illégalement comme négociant-commissionnaire en contrats à terme. En outre, Ooki s’est vu imposer une interdiction de négociation ainsi que l’obligation – applicable aussi à tout fournisseur tiers d’hébergement Web ou de nom de domaine – de fermer son site Web et de retirer son contenu d’Internet.
L’une des conclusions du juge Orrick a des implications juridiques majeures : Ooki est, dans les faits, une personne au sens de la Commodity Exchange Act et peut donc être tenue responsable de tout manquement à cette loi[1]. Il faudra voir si cette conclusion est simplement une conséquence inévitable du comportement ostentatoire des fondateurs d’Ooki, ou plutôt un signe de ce qui attend les OAD en général.
La Commodity Futures Trading Commission (« CFTC ») a intenté une poursuite contre Ooki en septembre 2022. Elle a conclu en parallèle un règlement avec les fondateurs de la plateforme de négociation décentralisée bZeroX (la société à responsabilité limitée qui a précédé Ooki), qui avaient transféré leur protocole logiciel basé sur la chaîne de blocs à Ooki[2].
Les fondateurs de bZeroX ont procédé au transfert afin d’échapper à la réglementation et aux sanctions – une stratégie audacieuse qu’ils ont annoncée publiquement. L’un des fondateurs l’a dit clairement :
[traduction] C’est une excellente nouvelle. Nous nous préparerons au nouveau cadre réglementaire en assurant la pérennité de bZx. Actuellement, de nombreux acteurs du secteur reçoivent des mises en demeure, et les législateurs se demandent si les entreprises de finance décentralisée doivent s’inscrire ou non comme fournisseurs de services d’actifs virtuels – au fond, nous allons faire tout ce qu’il faut pour nous protéger contre les demandes des organismes de réglementation en transférant tout à la communauté[3].
Cette stratégie – une tentative avouée de protéger la société à responsabilité limitée contre les sanctions – n’a pas dupé les organismes de réglementation. Dans sa poursuite, la CFTC a accusé Ooki « d’offrir illégalement des services de trading de marge et de levier au détail »[4]; d’exercer des activités réservées aux négociants-commissionnaires en contrats à terme dûment inscrits; et de n’avoir adopté aucun programme d’identification des clients, en contravention à la Bank Secrecy Act. Bref, la CFTC n’a pas laissé bZeroX échapper à la réglementation en devenant une OAD.
Fait intéressant, Ooki n’a pas réagi à la poursuite : elle ne s’est pas défendue contre les allégations de la CFTC et n’a présenté aucun argumentaire devant la Cour[5]. Certains analystes y voient un « problème d’inaction collective » prévisible puisque tout utilisateur qui s’identifie court des risques[6], mais d’autres font remarquer que les votes de gouvernance des OAD sont conçus expressément pour mobiliser la communauté en vue d’une action conjointe (pourvu qu’un utilisateur soit prêt à demander un tel vote).
On peut se demander si une défense vigoureuse de l’OAD, y compris un argumentaire contre l’idée que la simple détention d’un jeton (assorti d’un droit de vote) expose les utilisateurs à une poursuite, aurait convaincu le juge, particulièrement dans un contexte différent.
Les OAD sont essentiellement, dans leur forme la plus pure, des organisations autonomes pleinement décentralisées – le nom le dit – dont les activités sont déterminées par une communauté de membres. Si les dirigeants et les développeurs gèrent le code et choisissent les questions soumises au vote, c’est la communauté qui vote sur les grandes décisions relatives à l’OAD et à son avenir. Par exemple, les soussignés ont rédigé un billet sur les variables importantes qui entrent en jeu quand, comme dans le cas de Mango Markets, les dirigeants proposent un vote sur une proposition de règlement avec un malfaiteur qui exploite des contrats intelligents pour réaliser un profit au détriment de la communauté. Dans cette affaire, l’OAD a entériné par vote les modalités du règlement avec le malfaiteur, Avraham Eisenberg. Or après le vote, Mango Labs, LLC a poursuivi Eisenberg au civil pour récupérer la « prime » négociée (cette poursuite s’ajoute aux nombreuses poursuites criminelles et pénales intentées contre lui pour fraude liée à une marchandise et manipulation du marché).
Les OAD constituent une démocratie dans sa forme la plus chaotique. Ce chaos crée un faux sentiment de sécurité chez les personnes responsables. Mais aujourd’hui, une grande question se pose : dans quelle mesure les OAD confèrent-elles une immunité aux dirigeants, aux développeurs et même aux détenteurs de jetons? La tendance émergente vers une restructuration en société des OAD constitue peut-être, en partie, une reconnaissance de la protection insuffisante que les OAD procurent à leurs membres. La victoire de la CFTC contre Ooki, grâce à la conclusion du juge Orrick qu’Ooki est une « personne » au sens de la Commodity Exchange Act, montre clairement que les organismes de réglementation n’hésiteront pas à poursuivre une OAD non constituée en société.
L’« immunité » perçue des OAD, à supposer qu’elle ait existé, a certainement été ébranlée, du moins aux États-Unis. La CFTC a lancé un sérieux avertissement au terme de l’affaire Ooki :
[traduction] Les fondateurs ont créé l’OAD Ooki pour échapper à leurs obligations, dans le but avoué d’exploiter une plateforme de négociation illégale en toute impunité […]. Ce jugement doit servir d’avertissement à tous ceux qui croient pouvoir contourner la loi et échapper aux sanctions en créant une OAD et qui, par le fait même, mettent en danger le public .
Le secteur doit maintenant prendre acte de la victoire de la CFTC contre Ooki et déterminer si la décision s’explique uniquement par la volonté claire des fondateurs d’échapper à la réglementation, ou si elle s’inscrit dans une tendance croissante des tribunaux à attribuer une responsabilité malgré la nature des OAD. Quoi qu’il en soit, les OAD devront réfléchir sérieusement à la possibilité de se restructurer en société.
Premièrement, la structure des OAD ne permet plus (à supposer qu’elle l’ait déjà fait) aux dirigeants, aux développeurs et aux détenteurs de jetons de se soustraire au regard des organismes de réglementation et à toute autre forme de responsabilité. Même si les accusations de la CFTC ne visaient que les fondateurs (dont l’identité était publique), la poursuite a été signifiée sur le forum en ligne d’Ooki, ce qui obligeait les membres à se défendre individuellement et non en tant qu’OAD. En levant le voile de l’OAD pour imposer des obligations aux membres, la CFTC ouvre la porte à une responsabilité accrue des détenteurs de jetons, dans la mesure où ils peuvent être identifiés.
Deuxièmement, la conclusion qu’une OAD est une personne au sens de la Commodity Exchange Act soulève une question : dans quelle mesure et dans quels contextes l’OAD sera-t-elle traitée comme une entité juridique qui possède des droits et des obligations? Par exemple, certaines OAD se sont constituées en société pour accomplir certaines tâches. C’est le cas de Mango Labs, LLC, une entité du Wyoming utilisée comme véhicule pour poursuivre Eisenberg dans le district sud de New York afin de récupérer la « prime » versée à la suite de son attaque contre le protocole de finance décentralisée de Mango Markets (Mango veut que le « règlement » soit déclaré inexécutoire, auquel cas Eisenberg devra rembourser la prime à l’OAD).
Le secteur devra surveiller attentivement comment les prochaines fraudes et attaques testeront les limites des OAD, et dans quelle mesure les membres jouiront de protections ou d’immunités « spéciales ». Il semblerait que l’anonymat, dont les dirigeants ne peuvent se prévaloir, soit la meilleure protection pour les détenteurs de jetons.
[1] Commodity Futures Trading Commission, « Statement of CFTC Division of Enforcement Director Ian McGinley on the Ooki DAO Litigation Victory », communiqué no8715-23, 9 juin 2023, en ligne.
[2] Commodity Futures Trading Commission, « CFTC Imposes $250,000 Penalty Against bZeroX, LLC and Its Founders and Charges Successor Ooki DAO for Offering Illegal, Off-Exchange Digital-Asset Trading, Registration Violations, and Failing to Comply with Bank Secrecy Act », communiqué no8590-22, 22 septembre 2022, en ligne; Brian Quarmby, « La CFTC blâmée pour sa “flagrante régulation par l’application” dans l’affaire Ooki DAO », Cointelegraph, 23 septembre 2022, en ligne.
[3] Voir le par. 3 de Commodity Futures Trading Commission Ooki DAO, poursuite civile no3:22-cv-5416, en ligne.
[4] Commodity Futures Trading Commission, « CFTC Imposes $250,000 Penalty Against bZeroX, LLC and Its Founders and Charges Successor Ooki DAO for Offering Illegal, Off-Exchange Digital-Asset Trading, Registration Violations, and Failing to Comply with Bank Secrecy Act », communiqué no 8590-22, 22 septembre 2022, en ligne.
[5] Brian Quarmby, « Ooki DAO fermera ses portes après une bataille judiciaire avec la CFTC! », Cointelegraph, 10 juin 2023, en ligne.
[6] Linda Butler et Kristopher B. Kastens, « Ooki DAO Default Judgment: Regulators Still Face Many Technical and Legal Challenges in Regulating Smart Contracts », 21 juin 2023, en ligne.
[7] Commodity Futures Trading Commission, « Statement of CFTC Division of Enforcement Director Ian McGinley on the Ooki DAO Litigation Victory », communiqué no8715-23, 9 juin 2023, en ligne.
par Benjamin Bathgate et Madeline Klimek
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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