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Protection des marques étrangères : l’enregistrement d’une marque de commerce radié pour cause de mauvaise foi

5 juillet 2022 Bulletin sur la propriété intellectuelle Lecture de 5 min

L’enregistrement d’une marque de commerce au Canada est invalide s’il a été demandé de mauvaise foi[1].

Dans sa récente décision Beijing Judian Restaurant Co. Ltd. v. Meng[2], la Cour fédérale (la « Cour ») s’est penchée sur l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté cette disposition somme toute récente[3], a analysé les critères d’invalidation d’une marque de commerce déposée de mauvaise foi et s’est montrée disposée à protéger les marques étrangères contre les acteurs de mauvaise foi.

Contexte

Beijing Judian Restaurant Co. Ltd. (le « demandeur ») exploite en Chine une chaîne bien connue de restaurants-bars à barbecue. Des marques de commerce intégrant (i) les caractères JU DIAN ( 聚 点 ), en formes écrite et stylisée, (ii) le mot anglais « Partybase » en caractères stylisés et/ou (iii) un cercle (collectivement, les « marques JU DIAN ») ont été abondamment associées aux services de restauration du demandeur en Chine ainsi qu’à leur promotion. La marque JU DIAN incorporant les trois éléments est illustrée ci-dessous :

Depuis 2011, le demandeur emploie aussi les marques JU DIAN dans ses comptes de médias sociaux pour publiciser ses services de restauration auprès de la population chinoise, en Chine comme à l’étranger.

En novembre 2017, le demandeur a déposé au Canada une demande d’enregistrement de la marque de commerce ci-dessous, où figurent les caractères JU DIAN (la « marque JU DIAN canadienne ») :

En mai 2018, le demandeur a ouvert son premier restaurant au Canada, plus précisément à Vancouver, en Colombie-Britannique. En 2019, il en a ouvert un deuxième, cette fois-ci à Richmond, dans la même province. Les restaurants canadiens affichent et utilisent la marque JU DIAN canadienne.

À l’insu du demandeur, en novembre 2017, un tiers sans lien avec lui (le « défendeur ») avait demandé l’enregistrement au Canada de la marque ci-dessous, associée aux descriptifs [traduction] « services de restauration; services de repas pour emporter » et [traduction] « bières », selon l’usage projeté (la « marque du défendeur ») :

Il convient de noter que la marque du défendeur est pratiquement identique à la marque JU DIAN illustrée plus haut.

Autour de la date où la marque du défendeur a été enregistrée (le 25 avril 2019), le défendeur est entré en contact avec le demandeur à plusieurs reprises. Il a d’abord enjoint à ce dernier de lui verser 1,5 million de dollars en contrepartie de l’enregistrement de la marque du défendeur. Il a ensuite prétendu que le demandeur avait violé son droit d’auteur et contrefait sa marque, après quoi il a mis en vente la marque du défendeur avant de tenter d’accorder une licence sur celle-ci en échange de 100 000 $ par année. En dernier lieu, le défendeur s’est opposé à la demande d’enregistrement de la marque JU DIAN canadienne par le demandeur. La réaction du demandeur a été de chercher à faire radier l’enregistrement de la marque du défendeur au motif que l’enregistrement avait été demandé de mauvaise foi.

L’analyse de la Cour fédérale

La Cour a jugé qu’il incombait au demandeur d’établir la mauvaise foi, selon la prépondérance des probabilités. Cependant, lorsque des faits sont connus uniquement du défendeur, des éléments de preuve circonstancielle et des inférences tirées de faits prouvés peuvent suffire à déterminer les objectifs que poursuivait le défendeur au moment de l’enregistrement[4].

Après avoir analysé les marques de commerce utilisées par le demandeur en Chine et la marque de commerce enregistrée par le défendeur au Canada, la Cour a conclu que la marque du défendeur était [traduction] « une reproduction directe » de la marque JU DIAN illustrée plus haut, laquelle est employée en association avec les restaurants du demandeur en Chine. Elle a jugé peu plausible que le défendeur ait créé la marque du défendeur par lui-même et a déduit que [traduction] « le demandeur cherchait à faire enregistrer la même marque qu’il savait associée aux restaurants Beijing Judian en Chine »[5].

Par ailleurs, la Cour a conclu que la preuve du demandeur attestait que celui-ci jouissait, au moment de l’enregistrement de la marque du défendeur, d’une certaine réputation auprès, à tout le moins, de la population sino-canadienne de la Colombie-Britannique, grâce aux activités de marketing et de promotion menées au moyen de ses comptes de médias sociaux[6].

La Cour a également observé que si le défendeur avait déposé une déclaration d’utilisation, rien ne prouvait qu’il utilisait la marque du défendeur à des fins commerciales.

La somme des éléments de preuve circonstancielle et des inférences raisonnables tirées de ces éléments a amené la Cour à conclure que le défendeur avait fait enregistrer la marque du défendeur dans le but d’extorquer de l’argent au demandeur ou de profiter de sa réputation relativement aux marques JU DIAN pour obtenir de l’argent auprès de tierces parties[7]. Le défendeur n’a fourni aucun élément de preuve pour réfuter les inférences tirées de la preuve circonstancielle ou attester une quelconque intention d’utiliser la marque du défendeur en tant que marque de commerce associée à ses propres services de restauration[8].

La Cour a conclu que le défendeur avait déposé la marque du défendeur sans but commercial légitime et que les circonstances entourant la demande d’enregistrement de cette marque constituaient de la mauvaise foi; en conséquence, elle a ordonné que l’enregistrement de la marque du défendeur soit radié[9].

En dépit de la constatation de mauvaise foi, la Cour a refusé d’accorder des dommages-intérêts punitifs, faisant valoir que la [traduction] « mauvaise foi » ne constituait pas un délit donnant lui-même ouverture à un droit d’action[10].

Ce qu’il faut retenir

La Cour fédérale a montré encore une fois sa disposition à prendre en compte des éléments de preuve liés à des activités menées à l’étranger pour protéger les intérêts légitimes de parties prenantes exerçant des activités au pays ou pour protéger ces parties prenantes contre des acteurs de mauvaise foi cherchant à profiter de leur réputation. Il est recommandé aux titulaires légitimes d’une marque de commerce de sauvegarder leurs droits sur celle-ci au Canada en déposant leur marque auprès des autorités canadiennes, mais la première partie à demander l’enregistrement n’a pas toujours le dernier mot, surtout si elle l’a fait de mauvaise foi.

[1] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, c. T-13 (la « Loi »), al. 18(1)e).
[2] 2022 CF 743.
[3] Id., par. 32.
[4] Id., par. 39.
[5] Id., par. 41.
[6] Id., par. 44.
[7] Id., par. 46-47.
[8] Id., par. 50.
[9] Id., par. 51.
[10] Id., par. 64, citant Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30 et Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18.

par Yue Fei, Pablo Tseng* et ZiJian Yang (étudiant d’été en droit)

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.

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