Projet de loi 96 : dates à retenir et cinq amendements notables au projet de loi
Projet de loi 96 : dates à retenir et cinq amendements notables au projet de loi
C’était imminent, c’est maintenant chose faite. Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à la majorité le projet de loi 96, qui réforme les lois linguistiques de la province. Nous présentons dans le présent bulletin le calendrier d’entrée en vigueur des dispositions qui recevront la sanction du lieutenant-gouverneur le 1er juin, plus d’un an après le dépôt du texte initial, qui a fait l’objet de nombreuses délibérations.
Nous expliquons aussi cinq amendements clés au projet de loi qui ont retenu notre attention et qui pourraient faire pousser un soupir de soulagement à certains, mais en décevoir d’autres!
Calendrier
Le projet de loi 96, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, a d’abord été déposé le 13 mai 2021 (voir notre bulletin sur sa première mouture, qui brossait un tableau des conséquences attendues), dans l’optique de réformer les lois linguistiques du Québec, notamment la Charte de la langue française (aussi appelée « Loi 101 »)[1]. Après bien des délibérations et quelques amendements, il a maintenant été adopté, et les nouvelles exigences qu’il instaure entreront graduellement en vigueur au cours des prochains mois. Les entreprises établies ou menant des activités au Québec devraient prendre bonne note des dates ci-dessous.
Entrée en vigueur | Dispositions |
1er juin 2022 |
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1er septembre 2022 |
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1er juin 2023 |
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1er juin 2024 |
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1er juin 2025 |
Dans l’affichage public, le français doit toutefois figurer de façon « nettement prédominante » lorsqu’une telle marque y figure dans une autre langue. |
Voici les cinq principaux amendements apportés au projet de loi.
1. Les entreprises ayant des activités et une présence limitées au Québec pourraient ne pas être tenues de préparer des versions françaises de leurs clauses-types et de leurs contrats.
S’il avait été adopté dans sa première mouture, le projet de loi 96 aurait exigé que tous les contrats d’adhésion (contrats dont les modalités sont imposées par une des parties) et les contrats contenant des clauses-types (peu importe le nombre) soient rédigés en français. En fait, si la version dans une autre langue n’avait pas été accompagnée de la version française à la conclusion du contrat, celui-ci aurait pu être frappé de nullité[17]. Cela représentait un changement important par rapport à la CLF, qui permettait expressément aux parties de choisir une langue autre que le français, souvent par l’ajout au contrat d’une simple clause sur le choix de la langue[18].
La portée de la modification proposée a été réduite à deux égards importants, peut-être en raison des fortes réactions qu’a suscitées la formulation initiale :
L’obligation de rédaction en français ne s’applique plus aux contrats « utilisé[s] dans les relations avec l’extérieur du Québec/avec des parties à l’extérieur du Québec »[19]. Ces contrats peuvent toujours être rédigés dans une langue autre que le français. Fait intéressant, il s’agit d’une exemption que le gouvernement du Québec se réservait auparavant exclusivement[20]. Les entités établies à l’étranger ou dans une autre province canadienne qui ont une clientèle au Québec, mais n’y ont pas encore d’établissement (quoiqu’il reste à voir quelles seront les parties dites « à l’extérieur » du Québec) pourraient en bénéficier .
L’obligation de faire traduire les contrats contenant des clauses-types a été entièrement retirée. Le fait de limiter l’obligation aux contrats d’adhésion fournit des éclaircissements bienvenus et élimine des renvois devenus caducs.
Dans ces situations, les parties conservent le droit d’utiliser un contrat dans une langue autre que le français, pourvu qu’elles choisissent expressément de le faire.
2. Certains types de contrats souvent conclus entre acteurs avertis n’auront pas à être traduits.
Certains types de contrats ont aussi été exemptés des exigences générales de traduction, même s’il s’agit de contrats d’adhésion et que l’exemption ci-dessus ne s’applique pas. Il s’agit de manière générale de contrats associés à des produits financiers spécialisés. Si les exigences n’avaient pas été levées, des entreprises du Québec auraient été exclues de la participation à certains marchés de niche. Les contrats visés sont[21] :
- les contrats de prêt;
- les instruments financiers et les contrats ayant pour objet la gestion des risques financiers, y compris les accords de change de devises ou de taux d’intérêt, les contrats d’achat ou de vente d’options et les contrats à terme;
- les contrats conclus avec une personne ou une entreprise qui exerce les activités d’une chambre de compensation;
- les contrats conclus sur une plateforme permettant de négocier un instrument dérivé visé par la Loi sur les instruments dérivés du Québec (chapitre I-14.01), une valeur mobilière visée par la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (chapitre V-1.1) ou un autre bien meuble, pourvu, en ce dernier cas, qu’il ne s’agisse pas d’un contrat de consommation;
- un contrat d’assurance, lorsqu’il n’a pas d’équivalent en français au Québec et qu’il remplit l’une des conditions suivantes : a) il provient de l’extérieur du Québec; ou b) son utilisation est peu répandue au Québec.
3. Il faudra prioriser les demandes d’enregistrement à l’OPIC.
La CLF et ses règlements d’application prévoyaient certaines dérogations grâce auxquelles des marques de commerce, même celles dans une langue autre que le français, pouvaient être utilisées au Québec sans devoir être modifiées, par exemple sur un produit ou son emballage, ou dans l’affichage public ou la publicité[22]. Ces dérogations s’appliquaient à toutes les marques « reconnues », y compris les marques de common law (c’est-à-dire établies par l’usage public de l’appellation)[23].
Selon la CLFM, les marques doivent désormais être officiellement déposées auprès de l’OPIC pour être exemptées et pour pouvoir être utilisées partiellement ou intégralement dans une langue autre que le français. En pratique, cela signifie que les entreprises concernées doivent présenter leurs demandes d’enregistrement dans les meilleurs délais, même si l’exigence n’entrera en vigueur que dans trois ans. En effet, l’OPIC ayant accumulé des retards considérables dans son examen des demandes pendant la pandémie, la démarche prend actuellement plus de trois ans.
De plus, si la marque comprend une description générique du produit, celle-ci doit aussi être présente en français[24].
4. Les professionnels pourraient devoir faire traduire leurs opinions à leurs frais.
Le projet de loi 96 introduit l’obligation pour les membres des ordres professionnels de fournir en français tout avis, opinion, rapport, expertise ou autre document qu’ils rédigent « à toute personne autorisée à les obtenir et qui leur en fait la demande » (plutôt qu’« à toute personne qui fait appel à leurs services et qui leur en fait la demande » comme l’exigeait la CLF).
Selon la CLF, cette demande pouvait être faite à tout moment, et la traduction devait être fournie sans frais si le client pour qui les documents originaux avaient été produits était un particulier. Selon la CLFM, si le client original est une personne morale, la personne qui demande la traduction en paie les frais si elle a besoin de la version française de l’un ou l’autre des documents susmentionnés[25].
Ces exigences s’appliquent à tous les ordres professionnels de la province, par exemple au Collège des médecins du Québec, au Barreau du Québec ou à l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec.
5. La perspective de TRC-Sadovod Vantage : les dispositions du projet de loi 96 sont là pour de bon.
Même s’il suscite son lot de réactions négatives dans la communauté anglophone et le milieu des affaires, le projet de loi est très bien accueilli par la majeure partie de la population québécoise. Le gouvernement compte profiter de son adoption pour faire valoir son bilan en matière de protection du français à l’approche des élections d’octobre prochain. Le texte deviendra loi sans autre modification le 1er juin et, bien qu’on puisse certainement s’attendre à ce que certaines de ses dispositions soient contestées devant les tribunaux, le milieu des affaires doit se faire à l’idée que la vaste majorité des changements qu’il apporte sont là pour de bon, du moins pour ce qui est de l’avenir prévisible.
[1] Dans le présent bulletin, nous désignons a) par « CLF » les renvois à la Charte de la langue française avant sa modification par le projet de loi 96, b) par « projet de loi 96 » les renvois aux premières modifications proposées, et c) par « CLFM » les renvois à la Charte dans sa version modifiée par le projet de loi 96.
[2] CLFM, art. 46.1.
[3] CLFM, art. 41.
[4] CLFM, art. 41.
[5] CLFM, art. 50.2.
[6] CLFM, art. 41 et 55.
[7] CLFM, art. 204.16.
[8] CLFM, art. 205 et 206.
[9] CLFM, art. 9.
[10] Projet de loi 96, art. 125 et 126.
[11] CLFM, art. 55.
[12] CLFM, art. 149.
[13] CLFM, art. 13.1.
[14] CLFM, art. 10.
[15] CLFM, art. 139.
[16] CLFM, art. 51.1 et 58.1.
[17] CLFM, art. 55.
[18] CLF, art. 55.
[19] CLFM, art. 55. On ignore pour le moment quelle sera la formulation définitive de cette phrase.
[20] CLF, art. 21.
[21] CLFM, art. 21, 21.5, 41 et 55.
[22] CLF, art. 51.
[23] Quebec (Attorney General) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), 2015 QCCQ 354.
[24] CLFM, art. 51.1.
[25] CLFM, art. 30.1.
par Enda Wong, Émile Catimel-Marchand, Jonathan Kalles et Cathy Tran (étudiante en droit)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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