Pour des règles équitables :
l’UE montre l’exemple en proposant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières
Pour des règles équitables :
l’UE montre l’exemple en proposant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières
Le 14 juillet 2021, la Commission européenne annonçait sa proposition officielle de mécanisme d’ajustement des émissions de carbone aux frontières (« MACF »)[1], qui s’inscrit dans un vaste ensemble de mesures grâce auxquelles l’Union européenne espère devenir le premier continent carboneutre d’ici 2050[2]. Paolo Gentiloni, commissaire européen à l’Économie, explique la pertinence d’établir des conditions équitables et affirme que les règles commerciales internationales seront respectées :
« [N]ous proposons un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui permettra d’aligner le prix du carbone pour les importations sur celui applicable au sein de l’Union. Dans le plein respect de nos engagements à l’égard de l’OMC, nous veillerons à ce que nos ambitions en matière de climat ne soient pas mises à mal par des entreprises étrangères soumises à des exigences environnementales plus laxistes. Cela aura aussi pour effet de favoriser l’adoption de normes plus vertes au-delà de nos frontières. C’est notre dernière chance : chaque année, la dure réalité du changement climatique devient plus évidente[3]. »
Le MACF vise à prévenir les fuites de carbone qui pourraient découler du renforcement des politiques climatiques intérieures et du régime de tarification du carbone de l’Union européenne[4]. On parle de « fuites » lorsque des entreprises déplacent leur production à forte intensité de carbone dans d’autres pays où la tarification du carbone est très basse – si tarification il y a – afin de se soustraire aux mesures de protection du climat.
Quels sont les secteurs visés par le mécanisme?
Le MACF appliquera une tarification aux importations de produits de secteurs à risque élevé de fuites de carbone et connus pour leurs émissions de carbone importantes, tout d’abord le fer et l’acier, le ciment, l’engrais, l’aluminium et l’électricité.
L’Union européenne prévoit ensuite étendre le MACF à d’autres secteurs, qui n’ont pas encore été annoncés. L’intensité de la production d’émissions de carbone et le risque de fuites seront déterminants dans le choix de ces secteurs.
Comment fonctionne le MACF?
Les exportateurs hors EU des secteurs visés devront acheter des certificats carbone du MACF pour compenser le coût du carbone utilisé pour la production de leurs produits d’exportation. Chaque certificat représentera une tonne de CO2. Le prix des certificats sera fonction du prix moyen hebdomadaire des quotas du système d’échange de quotas d’émission de l’UE, ce qui assurera une cohérence entre les prix du MACF et les prix du carbone de l’UE.
Il n’y aura pas de limite au nombre de certificats offerts à la vente. Les certificats du MACF seront valides pendant deux ans après leur achat. L’UE demandera aux exportateurs d’accumuler les certificats en en achetant régulièrement pendant l’année à mesure que leurs produits sont importés, et de déclarer chaque trimestre et chaque année le nombre de certificats achetés.
Les exportateurs hors UE devront obtenir l’autorisation d’une autorité nationale compétente de l’UE pour y importer des biens couverts par le MACF. Chaque pays de l’UE désignera une autorité responsable de vendre les certificats du MACF au prix autorisé par l’UE.
Quelle incidence pour les exportateurs canadiens?
Durant la première phase, les exportateurs canadiens de fer, d’acier, de ciment, d’engrais, d’aluminium et d’électricité seront les seuls concernés par le MACF. En 2019, l’UE déclarait des importations du Canada, dans ces six secteurs, à hauteur de 122 millions d’euros[5], comparativement à 20,9 milliards pour le total des biens canadiens exportés vers l’UE – cela représente environ 1 % des exportations canadiennes totales vers l’UE[6]. La presque totalité des 122 millions d’euros en importations canadiennes provient du fer et de l’acier (118 millions). Il n’y a eu aucune importation canadienne d’engrais pour agriculture, horticulture et foresterie en 2019.
Durant sa phase initiale, le MACF s’appliquera uniquement aux émissions découlant directement de la production des marchandises visées. L’UE évaluera toutefois la pertinence d’étendre le mécanisme aux émissions indirectes provenant de l’électricité utilisée pour produire la marchandise, ainsi qu’aux émissions en aval de la production et du traitement.
Ainsi, les exportateurs canadiens devront calculer la quantité de carbone utilisé dans la production de leurs produits. Ils devront en outre faire vérifier leurs calculs par un vérificateur accrédité de l’UE et conserver un exemplaire du rapport de ce dernier, ainsi que la documentation utilisée pour le calcul des émissions intégrées à la production dans les quatre ans suivant la vérification[7]. Les producteurs qui ne parviennent pas à calculer ces émissions se verront attribuer une valeur par défaut équivalente à l’intensité d’émission moyenne des 10 % des pires émetteurs de l’UE pour ce type de produits.
Les producteurs canadiens seront admissibles à une réduction du nombre de certificats du MACF à acheter, puisque les biens exportés sont déjà soumis à une tarification du carbone au Canada, comme le prévoit l’article 9 de la proposition :
[Traduction] Article 9 – Prix du carbone dans le pays d’origine
1. Un déclarant autorisé peut demander, dans sa déclaration du MACF, la réduction du nombre de certificats du MACF à appliquer en fonction du prix du carbone payé dans le pays d’origine pour les émissions intégrées à la production déclarées.
C’est là une caractéristique importante du mécanisme, dont l’objet est de percevoir des frais qui reflètent la différence entre le prix du carbone dans l’UE et le régime du pays dont provient l’exportateur. Par exemple, un producteur canadien exportant des produits à forte intensité carbonique couverts par le MACF de l’UE peut faire valoir, dans sa déclaration, une réduction du nombre de certificats du MACF qu’il doit soumettre, s’il paie déjà un prix pour le carbone au Canada (régime de tarification du carbone fédéral ou provincial/territorial).
La proposition de MACF sera relativement moins lourde de conséquences pour les producteurs canadiens des secteurs visés comparativement à leurs concurrents d’autres pays qui n’ont pas de tels régimes. En effet, comme la plupart des produits canadiens des six secteurs visés font déjà l’objet d’une tarification du carbone, et seront donc admissibles à une réduction du nombre de certificats du MACF, la plupart des exportations du Canada vers l’UE profiteront d’une meilleure équité avec les exportations de pays non réglementés.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’UE conclue des accords avec les pays étrangers qui disposent de mécanismes de même nature. En ce qui concerne le Canada, si cela était le cas, l’exportation de produits vers l’UE en serait facilitée. Cela dit, il reste encore à voir la forme et la fonction exactes que prendrait un éventuel accord entre le Canada et l’UE sur les importations à forte intensité carbonique.
Calendrier et obligations redditionnelles du MACF
La première phase du MACF doit avoir lieu de 2023 à 2025. Les exportateurs devront alors satisfaire de nouvelles obligations redditionnelles, mais aucune obligation financière ne s’appliquera encore. Cette phase de transition vise à permettre aux exportateurs de s’adapter aux obligations administratives et redditionnelles du MACF sans avoir à acheter de certificats. Ils auront ainsi le temps d’évaluer si leurs exportations seront concurrentielles sur le marché de l’UE une fois celles-ci assujetties aux coûts différentiels correspondants à l’échelle européenne de prix du carbone.
La deuxième phase du MACF doit commencer en 2026. À ce moment, les exportateurs hors UE des secteurs visés devront acheter des certificats pour couvrir leurs émissions de carbone aux prix correspondant aux prix du carbone de l’UE pour les produits qui y sont importés.
Dans le cadre du MACF, les exportateurs hors UE devront déclarer à l’Union, le 31 mai de chaque année, la quantité d’émissions émises pour produire les marchandises exportées vers l’UE et le nombre total de certificats achetés. En plus des obligations redditionnelles annuelles, les exportateurs devront notamment rendre compte chaque trimestre des émissions directes et intégrées aux produits exportés ainsi que des prix du carbone payés hors de l’UE.
Le Parlement européen et le Conseil de l’UE devront approuver la proposition de mécanisme avant que celui-ci ne prenne effet, ce qui pourrait changer le calendrier proposé.
Autres pays qui envisagent un ajustement à la frontière pour le carbone
À ce jour, l’UE est le seul territoire ayant une proposition officielle de ce genre. Cependant, plusieurs autres l’envisagent, notamment le Canada[8], les États-Unis et le Royaume-Uni. Lorsqu’un pays met en place un régime de tarification du carbone rigoureux, il peut devenir très tentant d’y assortir un mécanisme d’ajustement aux frontières pour rendre la concurrence équitable entre les producteurs locaux visés par le régime et les importateurs.
Les règles commerciales internationales nuiront-elles au MACF?
L’Accord économique et commercial global (« AECG ») entre le Canada et l’Union européenne contient un chapitre sur l’environnement dans lequel sont réitérés les engagements et les consultations des accords multilatéraux sur l’environnement. Plus particulièrement, dans l’article 24.4, les parties : (1) reconnaissent l’intérêt de la gouvernance et des accords internationaux en matière d’environnement et soulignent la nécessité de renforcer la complémentarité des politiques, des règles et des mesures en matière de commerce et d’environnement; (2) réaffirment leur engagement à mettre pleinement en œuvre les accords multilatéraux sur l’environnement auxquels elles sont parties; et (3) s’engagent à se consulter et à coopérer au sujet de questions environnementales d’intérêt commun, en particulier celles qui touchent au commerce[9]. Cela étant, il y a lieu de s’attendre à ce que les partenaires commerciaux du Canada et de l’UE se consultent avant la mise en œuvre du MACF, et à ce qu’un accord en la matière soit conclu entre le Canada et l’UE.
Il est probable que le MACF fera l’objet d’une importante surveillance au regard des accords commerciaux internationaux. L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (« GATT ») contient des engagements généraux relatifs aux tarifs douaniers (article II), aux taxes, à l’imposition et à la réglementation intérieures (article III), aux restrictions quantitatives à l’importation (article XI) ainsi qu’à d’autres questions pertinentes dans la conception et la mise en œuvre d’ajustements à la frontière pour le carbone. L’article XX contient des exceptions générales concernant diverses mesures environnementales, auxquelles sont rattachées des règles de non-discrimination, entre autres[10].
La structure du MACF laisse croire à une tentative de se soustraire à certaines dispositions du GATT relativement au commerce de biens, par exemple l’adoption d’une réglementation intérieure et l’application de nouvelles impositions plutôt que d’un nouveau tarif. Toutefois, compte tenu de la nature générale de certaines dispositions du GATT, les pays exportateurs ayant un régime national de tarification du carbone peu convaincant, ou n’ayant aucun régime de ce type, pourraient être tentés de contester la compatibilité du MACF avec le GATT et d’autres obligations d’accords commerciaux[11].
[1] Commission européenne, « Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : Questions et réponses » (consulté le 8 août 2021).
[2] Regulation of the European Parliament and of the Council, Proposal for a Regulation establishing a carbon border adjustment mechanism, 14.7.2021 COM(2021) 564 final. Mémoire explicatif.
[3] Commission européenne, « Pacte vert pour l’Europe : La Commission propose de transformer l’économie et la société européennes afin de concrétiser les ambitions climatiques de l’Union » (consulté le 3 août 2021).
[4] Pour en savoir plus sur les fuites de carbone, consultez notre bulletin « Des frontières plus vertes – le Canada étudie les ajustements à la frontière pour le carbone ».
[5] Eurostat, « DS-045409 EU Trade since 1988 by HS2-4-6 and CN8 », importations du Canada de janvier à décembre 2019; comprend les données sur la catégorie de produits SH 2510, 2606, 9028, 72, 843240 et 2523.
[6] Gouvernement du Canada, « Un aperçu des résultats commerciaux du Canada et de l’UE dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (AECG) », Figure 1 (consulté le 9 août 2021).
[7] Regulation of the European Parliament and of the Council, Proposal for a Regulation establishing a carbon border adjustment mechanism, 14.7.2021 COM(2021) 564 final. Mémoire explicatif, article 9.
[8] Pour en savoir plus sur les projets d’ajustements à la frontière pour le carbone du Canada, consultez notre récent bulletin sur le sujet.
[9] Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), 30 octobre 2016, chapitre 24, article 24.2, paragraphes 1-3 (entré en vigueur le 21 septembre 2017).
[10] Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, particulièrement les articles II, III, XI et XX (entré en vigueur le 1er janvier 1948).
[11] L’évaluation détaillée des motifs d’une éventuelle contestation n’est pas du ressort du présent bulletin.
par Neil Campbell, Talia Gordner, Lisa Page et Adelaide Egan (stagiaire d’été)
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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