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Les manquements importants selon l’article 342 C.p.c.

Août 2020 Bulletin de litige Lecture de 6 min

Dans une volonté d’efficacité et d’accessibilité judiciaire, une importante réforme en matière de procédure civile a été engagée par le législateur québécois au cours des deux dernières décennies. Cette réforme se manifeste notamment par l’affirmation de principes directeurs devant guider le déroulement de l’instance, comme ceux de la coopération entre les parties[1] et de la proportionnalité des procédures[2]. Ces changements visaient à accroitre la responsabilité des parties face au bon déroulement de l’instance et à promouvoir l’utilisation efficiente des ressources des tribunaux.

L’adoption de ces nouvelles dispositions, et tout particulièrement de celle prévue à l’article 342 C.p.c. visant la sanction des manquements importants, a pour effet de renverser la manière dont nous concevons les devoirs des parties. Sous l’ancien Code de procédure civile[3], seuls les comportements revêtant un caractère blâmable assimilable à de l’abus étaient susceptibles de sanction[4]. Aujourd’hui, les justiciables ont l’obligation positive d’adopter une conduite respectant les principes directeurs de la procédure, sans quoi ils courent le risque d’être pénalisés en cas de manquements importants.

Historique législatif de l’abus de procédure

Avant la codification de la notion d’abus de procédure, les tribunaux, conformément au principe de la responsabilité civile, sanctionnaient déjà les comportements abusifs en exigeant le remboursement, par la partie fautive, des frais d’avocats qu’elle a indument fait supporter à la partie adverse[5]. L’abus n’était pas clairement défini mais se limitait aux situations évidentes où une partie en poursuivait une autre sans cause réelle, simplement dans l’intention de lui nuire[6]. Avec le temps, cette notion a été élargie aux autres actes de procédure intentés sans fondement et engendrant des inconvénients injustifiés à la partie adverse[7].

C’est en 1984 que l’abus de procédure a été intégré à la législation québécoise[8]. On l’associait alors à une action ou procédure frivole, manifestement mal fondée, ou dilatoire. En 2009, la notion a été élargie aux comportements vexatoires ou quérulents, à la mauvaise foi, à l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui, et au détournement des fins de la justice (notamment à l’occasion de poursuites-bâillon)[9].

Les plus récents changements législatifs vont encore plus loin. En plus de maintenir les règles sur l’abus de procédure (et même d’en accroitre la portée en précisant que l’abus a lieu « sans égard à l’intention » [10]), le C.p.c. resserre les exigences en matière de conduite en dictant aux parties le comportement qu’elles sont tenues d’adopter. Elles doivent notamment agir dans le respect des principes directeurs de la procédure civile tels que la proportionnalité, la coopération et la transparence[11]. Le législateur lance aussi un message clair qu’il n’est plus toléré de mobiliser les ressources des tribunaux sans raison[12].

Introduction de l’article 342 C.p.c.

Un constat s’impose : il y a un important écart entre la conduite attendue des parties, et celle suffisamment reprochable pour constituer un abus susceptible de sanction au sens de la loi[13]. Quelle sera alors la conséquence si une partie, sans pour autant poser des gestes exceptionnellement graves, ne respecte pas ses devoirs? Un mécanisme permettant de sanctionner les manquements importants est à cet effet introduit à l’article 342 C.p.c. :

342. Le tribunal peut, après avoir entendu les parties, sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance en ordonnant à l’une d’elles, à titre de frais de justice, de verser à une autre partie, selon ce qu’il estime juste et raisonnable, une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de son avocat ou, si cette autre partie n’est pas représentée par avocat, une compensation pour le temps consacré à l’affaire et le travail effectué.

Le critère du « manquement important »

La notion de « manquement important » n’a pas été définie par le législateur, laissant une large marge de manœuvre aux tribunaux. Quatre ans après l’entrée en vigueur de l’article 342 C.p.c., la Cour Supérieure, dans l’affaire Gagnon c. Audi[14], confirme les principes suivants:

  • L’article 342 C.p.c. a entre autre pour objectif d’assurer la sanction des principes directeurs de la procédure civile;
  • Le manquement important doit être distingué de l’abus de procédure, mais la distinction est souvent ténue;
  • Le manquement important se situe à un degré intermédiaire entre le manquement anodin et le manquement grave;
  • Le manquement important concerne la procédure et non la position au fond du litige, et peut survenir à toute étape du déroulement de l’instance[15].

La jurisprudence illustre certains cas de figure qui peuvent guider le tribunal au moment de déterminer si un manquement est suffisamment important pour permettre l’application de l’article 342 C.p.c. :

  • Le non-respect à plusieurs reprises par un employeur de délais prévus au protocole, alors que son employé est en attente d’une solution judiciaire à sa privation de salaire, est un manquement important au contrat judiciaire[16].
  • Faire défaut de communiquer des informations demandées, et ce même après le rejet d’objections, cacher des informations pertinentes et prétendre pendant plus d’un an qu’elles n’existent pas constitue un manquement important aux devoirs de coopération et de transparence[17].
  • Persister dans des procédures non nécessaires et disproportionnées en regard des coûts, malgré la désapprobation du Tribunal, constitue un manquement important au devoir de proportionnalité[18].
  • Procéder à de multiples modifications des procédures et déposer une quantité importante de nouvelles pièces le dernier jour ouvrable avant l’audience représente un manquement important au devoir de diligence[19].

Détermination du montant de la compensation accordée

Lors d’une condamnation pour abus, le tribunal a le pouvoir d’ordonner à la partie fautive de rembourser les frais que son utilisation illicite de la procédure a fait supporter indument à la partie adverse. Cela signifie que les honoraires d’avocats, devant par ailleurs être jugés raisonnables[20], pourront être à la charge de l’auteur de l’abus.

Alors que la compensation pour abus de procédure sert à indemniser la victime, l’objectif d’une condamnation sous l’article 342 C.p.c. est de punir la partie fautive[21]. C’est pourquoi le montant initial de la réclamation sera modulé en fonction du contexte et de la gravité du manquement[22]. Les tribunaux peuvent ainsi choisir de ne rembourser qu’une partie de la facture s’ils estiment que le manquement n’est pas suffisamment grave pour justifier une condamnation plus élevée[23]. À titre d’exemple, la Cour Supérieure, dans l’affaire Latouche c. Lavoie[24], remarque qu’il serait aussi possible que le montant soit fixé au-delà des frais d’avocats directement attribuables au manquement, et même s’élever à la totalité des honoraires consacrés au dossier dans le cas où l’intensité de la faute le justifie[25].

Conclusion

En raison de l’article 342 C.p.c., les justiciables ont tout intérêt à exercer leurs droits dans le respect des principes directeurs de la procédure, notamment ceux de la proportionnalité et de la coopération. À défaut, ils courent le risque de se voir condamner à payer un montant reflétant la gravité de leur faute. Tout porte à croire que l’application de l’article 342 C.p.c. par les tribunaux permettra de faire écho à la volonté affirmée du législateur de favoriser la collaboration des parties et l’utilisation raisonnable de la procédure afin de rendre la justice civile plus efficiente et accessible.

par Eric Stachecki et Jade Cassivi

[1] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 20 [le « C.p.c. »].
[2] Art 18 C.p.c.
[3] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.
[4] Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, au para 42.
[5] L’évolution jurisprudentielle de la théorie de l’abus de procédure est expliquée dans Jean-Louis Baudouin et al, La responsabilité civile, vol 1, 8e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, aux para 234 et ss.
[6] Le critère applicable était alors celui de la mauvaise foi (voir ibid au para 235).
[7] Le critère de la témérité a été élaboré par les tribunaux. Il consiste à déterminer si une personne prudente et raisonnable, placée dans les circonstances connues par la partie au moment du dépôt de la procédure, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure. Voir Royal Lepage commercial inc c. 109650 Canada Ltd, 2007 QCCA 915, au para 46.
[8] Code de procédure civile, LRQ c C-25, art 75.1-75.2 tel que paru en 1984.
[9] Code de procédure civile, LRQ c C-25, art 54.1 tel que paru en 2009.
[10] Art 51 C.p.c.
[11] Art 17-24 et disposition préliminaire C.p.c.
[12] Cette volonté transparait non seulement de la disposition préliminaire, mais aussi de la mise en valeur des modes privés de prévention et de règlement des différends aux art 1-7 C.p.c.
[13] Art 51-54 C.p.c.
[14] Gagnon c. Audi Canada inc, 2018 QCCS 3128 [Gagnon c. Audi].
[15] Ibid au para 48.
[16] Mercier c. Essor Assurances placements conseils inc, 2020 QCCQ 2207.
[17] Lévesque c. Videotron, 2019 QCCS 1379.
[18] Gagnon c. Audisupra note 14.
[19] Cessna Finance Export Corporation c. DAC Jet International Ltd, 2018 QCCS 3214.
[20] Avant de prononcer une condamnation, tant sous 54 C.p.c. que sous 342 C.p.c., le tribunal doit vérifier le caractère raisonnable de la réclamation notamment en regard du taux horaire de l’avocat et du temps qu’il était nécessaire de consacrer au litige (Voir Layla Jet Ltd c. Acass Canada Ltd, 2020 QCCS 667, aux para 14-16 [Layla Jet]). L’examen du caractère raisonnable est décrit dans Groupe Van Houtte inc c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc, 2010 QCCA 1970, au para 124.
[21] Gagnon c. Audisupra note 14 aux para 43-44.
[22] Layla Jetsupra note 20 au para 19.
[23] Ibid.
[24] Latouche c. Lavoie, 2017 QCCS 2932.
[25] Ibid au para 206.

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

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