Le 28 juin 2024 marquera la fin du CDOR
Le 28 juin 2024 marquera la fin du CDOR
Le 16 mai 2022, l’entreprise britannique Refinitiv Benchmark Services (UK) Limited (« RBSL »), l’administrateur du taux CDOR (Canadian Dollar Offered Rate, le « CDOR »), a annoncé[1] qu’elle cessera définitivement de calculer et de publier le CDOR après le 28 juin 2024. Le même jour, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et l’Autorité des marchés financiers du Québec, qui ont chacune fait du CDOR un indice de référence essentiel désigné, ont autorisé l’abandon de ce taux conformément au calendrier proposé par RBSL[2].
Les participants du marché ayant des titres au comptant ou des produits dérivés fondés sur le CDOR auront assez peu de temps pour prendre toutes les mesures nécessaires à une transition ordonnée vers un taux de référence de rechange.
Cette transition constituera un exercice d’envergure. Le CDOR a été introduit il y a plus de 40 ans et est actuellement le taux d’intérêt de référence le plus utilisé au Canada[3]. Les participants du marché devront faire passer des milliards de dollars de produits financiers du CDOR à des taux de rechange. Ils devront aussi établir des mécanismes de tarification et adapter des documents pour que leurs nouveaux produits se fondent aussi sur des taux de rechange.
L’annonce de RBSL découle de la consultation publique[4](la « consultation de RBSL ») que l’entreprise a menée en janvier et février 2022. Cette consultation faisait suite à l’examen du CDOR mené par le Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien (le « Groupe de travail sur le TARCOM »), qui a fait l’objet d’un livre blanc[5] (le « Livre blanc sur le CDOR »), publié le 16 décembre 2021. Le Groupe y recommandait que RBSL cesse de publier le CDOR et que le marché canadien adopte un nouveau taux d’intérêt de référence.
Le Groupe de travail sur le TARCOM a été établi en 2018 en réponse aux recommandations du Conseil de stabilité financière, qui a insisté sur la nécessité de renforcer les taux de référence interbancaires existants et de faciliter l’élaboration de taux de référence sans risque[6]. Composé de représentants d’entreprises du secteur financier, de grands utilisateurs finaux d’instruments financiers et d’institutions du secteur public, le Groupe a pour mandat de piloter la réforme des taux de référence au Canada[7].
Le Livre blanc sur le CDOR
Dans son Livre blanc, le Groupe de travail sur le TARCOM a conclu que le CDOR n’était pas déterminé d’une manière conforme aux bonnes pratiques internationales, qui privilégient des taux de référence fondés sur des volumes élevés d’opérations observables conclues dans des conditions de pleine concurrence, plutôt que sur un jugement d’expert. Bien qu’il repose sur des opérations réelles, le CDOR est déterminé par des informations transmises par les participants du marché, et non d’après des données sur les opérations. Plus précisément, il repose sur le marché des acceptations bancaires, dont la taille diminue depuis l’introduction de nouvelles règles sur le capital qui obligent les banques à apparier les échéances des instruments de financement avec celles des prêts. Sans un marché des acceptations bancaires robuste, le CDOR refléterait encore moins bien les opérations réelles et dépendrait encore plus du jugement d’experts. Le Groupe de travail sur le TARCOM a examiné la faisabilité d’une réforme du CDOR, mais a conclu que ce n’était pas une solution possible. Il a finalement recommandé que le taux des opérations de pension à un jour (le « taux CORRA ») soit adopté comme taux d’intérêt de référence canadien quand le CDOR sera abandonné.
Le Livre blanc du Groupe de travail sur le TARCOM a recommandé une approche en deux étapes pour assurer une transition harmonieuse, recommandation qu’ont appuyée tous les répondants à la consultation de RBSL :
- le 30 juin 2023 : le CORRA sera devenu le taux de référence pour tous les nouveaux produits dérivés et titres, sauf quelques exceptions;
- le 28 juin 2024 : le CORRA ou d’autres taux de rechange seront devenus les taux de référence de tous les prêts bilatéraux et consortiaux[8].
Création possible d’un taux CORRA à terme
Dans son Livre blanc, le Groupe de travail sur le TARCOM reconnaissait qu’il pourrait être difficile de faire passer des prêts d’un taux prospectif (le CDOR) à un taux à un jour (le CORRA)[9] et indiquait qu’il pourrait être nécessaire de créer un taux CORRA à terme pour le marché canadien. Cette opinion a été confirmée pendant la consultation de RBSL. De nombreux répondants ont indiqué que les prêts aux entreprises et le crédit commercial nécessitaient un taux à terme et qu’un tel taux devrait être offert avant l’abandon du CDOR.
Cela a conduit le Groupe à mener une consultation sur la nécessité de créer un « taux CORRA à terme ». Cette consultation[10] a été prolongée jusqu’au 30 juin 2022, et une synthèse des réponses reçues devrait être publiée peu après cette date[11]. On s’attend généralement à ce que le Groupe de travail sur le TARCOM recommande la création d’un taux CORRA à terme pour les échéances de un mois et de trois mois, dont l’utilisation serait limitée aux prêts aux entreprises et au crédit commercial.
Attentes des participants du marché
Dans une lettre aux institutions financières fédérales[12] publiée le jour de l’annonce de RBSL, le Bureau du surintendant des institutions financières (le « BSIF ») indique que la transition entre dans une phase critique et qu’il s’attend à ce que les institutions financières fédérales (les « IFF ») et les régimes de retraite fédéraux suivent l’approche en deux temps proposée. On y lit aussi que, pour les IFF « utilisant abondamment le taux CDOR, le BSIF […] prendra des mesures de surveillance, le cas échéant, en fonction de son évaluation de l’état de préparation à la transition ». Le BSIF s’attend aussi à ce que les IFF veillent à se doter d’un plan d’urgence [13].
Au-delà de la consultation sur le taux CORRA à terme, le Groupe de travail sur le TARCOM travaille à diverses initiatives en vue de faciliter la transition pour les participants du marché canadien. Les deux principales sont les suivantes :
- la formulation de clauses de repli standard, notamment pour les prêts fondés sur le taux CORRA à terme (dans l’éventualité de la création de ce dernier);
- la détermination de la date à laquelle devra cesser l’émission de prêts fondés sur le CDOR, qui précédera sans doute de beaucoup celle de l’abandon du CDOR lui-même[14].
Bien que le Groupe ne soit pas un organisme de réglementation et n’ait pas le pouvoir d’imposer une telle date, il est presque certain que le BSIF et les organismes de réglementation des marchés financiers provinciaux adopteront le calendrier qu’il proposera.
Les répondants à la consultation de RBSL ont aussi demandé que le Groupe de travail et les organismes de réglementation commencent à informer les participants du marché sur la transition et qu’ils publient des avis sur les mesures que les prêteurs et les emprunteurs doivent prendre pour se préparer à l’abandon du CDOR.
Conclusion
Les répondants à la consultation de RBSL sont largement d’avis que le calendrier proposé par le Groupe de travail sur le TARCOM (et adopté par le BSIF) est « serré, mais réalisable ». La vaste majorité reconnaissent que les participants du marché devront mettre les bouchées doubles pour être prêts à temps, mais pensent que, faute d’échéances rapprochées, la motivation de prendre les mesures nécessaires à la transition serait insuffisante.
Dans notre prochain bulletin, nous traiterons des mesures que les participants du marché devraient déjà prendre pour se préparer à la fin du CDOR, même si le calendrier de transition et la création d’un taux CORRA à terme sont encore incertains.
[1] Voir RBSL, « Refinitiv Benchmark Services (UK) Limited Issues Canadian Dollar Offered Rate Cessation Notice (16 mai 2022); voir RBSL, Announcement of Cessation of CDOR in June 2024 (16 mai 2022).
[2] Voir Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), Notice (16 mai 2022); voir Autorités des marchés financiers (AMF), Décision n° 2022-PDG-0032 (16 mai 2022).
[3] Voir Groupe de travail sur le TARCOM, Consultation sur un nouveau taux d’intérêt à terme qui pourrait remplacer le CDOR dans le cas de certains instruments financiers, p. 1.
[4] Voir RBSL, Consultation on Potential Cessation of CDOR (31 janvier 2022).
[5] Voir Groupe de travail sur le TARCOM, Examen du taux CDOR par le Groupe de travail sur le TARCOM : analyse et recommandations (16 décembre 2021).
[6] Voir Groupe de travail sur le TARCOM, Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien (TARCOM) – Mandat (21 septembre 2020).
[7] Voir Groupe de travail sur le TARCOM, préc., note 5, p. 6.
[8] Id. p. 34; voir Groupe de travail sur le TARCOM, Plan de transition pour le taux CDOR et principaux jalons (16 mai 2022), diapositives 2, 5; voir Groupe de travail sur le TARCOM, préc., note 3, p. 1; voir BSIF, Attentes du BSIF à l’égard de la transition visant le taux CDOR (16 mai 2022).
[9] Il faudrait que le taux CORRA soit composé à terme échu, de sorte que le taux d’intérêt et les flux de trésorerie ne seraient pas prévisibles; les paiements d’intérêts seraient déterminés immédiatement avant la date de paiement, d’après le taux à un jour applicable chaque jour, du paiement précédent au paiement courant. Un taux à terme prospectif fondé sur le taux CORRA permettrait aux participants de calculer d’avance les paiements d’intérêts et de conserver la mécanique utilisée pour les prêts fondés sur le CDOR.
[10] Voir Groupe de travail sur le TARCOM, préc., note 3.
[11] Id., p. 2.
[12] Voir BSIF, Attentes du BSIF à l’égard de la transition visant le taux CDOR.
[13] Id.
[14] Les répondants à la consultation de RBSL ont notamment soulevé le fait qu’à mesure que les dates de transition approcheront et que le volume du marché des acceptations bancaires diminuera, des mesures devront être prises pour que le CDOR continue de refléter les conditions du marché et les coûts d’emprunt jusqu’à la date d’abandon.
par Shahen Mirakian, Maria Sagan et Andrea Arbuthnot (étudiante d’été en droit)
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