La CSC décide que la protection de l’article 12 de la Charte contre les « traitements ou peines cruels et inusités » ne s’applique pas aux sociétés
La CSC décide que la protection de l’article 12 de la Charte contre les « traitements ou peines cruels et inusités » ne s’applique pas aux sociétés
Dans son récent arrêt Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., la Cour suprême du Canada (CSC) a décidé à l’unanimité que l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») ne saurait servir à protéger des sociétés contre les peines ou traitements cruels et inusités.
Contexte
La société, 9147-0732 Québec inc., a été déclarée coupable d’avoir exécuté des travaux de construction en tant qu’entrepreneure sans être titulaire d’une licence en vigueur à cette fin, infraction prévue à l’article 46 de la Loi sur le bâtiment. La société québécoise a ainsi été condamnée à une amende minimale obligatoire de 30 843 $ par l’application de l’article 197.1 de la Loi sur le bâtiment.
9147-0732 Québec inc. a contesté la constitutionnalité de l’amende minimale obligatoire pour les sociétés au motif qu’elle portait atteinte à son droit d’être protégée contre les traitements ou peines cruels et inusités prévu à l’article 12 de la Charte. Plus précisément, l’article 12 stipule que « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».
La Cour du Québec, puis la Cour supérieure du Québec, ont rejeté cet argument et statué que l’amende minimale imposée à la société en cause était loin d’être cruelle et inusitée, et constituait la norme en matière de droit pénal réglementaire. Notamment, ces deux tribunaux ont souligné que les personnes morales n’étaient pas visées par l’article 12, qui a pour objet la protection de la dignité humaine, « une notion qui s’applique de toute évidence exclusivement aux personnes physiques »[1].
Cependant, les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec (CAQ) ont accueilli l’appel et décidé que l’article 12 pouvait s’appliquer aux personnes morales, car le lien existant entre cet article et la dignité humaine n’interdisait pas l’application aux personnes morales des articles 8 (droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives) et 11(b) (droit d’être jugé dans un délai raisonnable) de la Charte. En privilégiant l’approche du « bénéfice tangible », la Cour d’appel a conclu que comme les personnes morales pouvaient être exposées à des traitements ou peines cruels sous forme d’amendes lourdes ou sévères, la protection de l’article 12 pouvait leur être accordée.
L’arrêt de la CSC
L’arrêt de la CAQ a fait l’objet d’un appel devant la CSC, qui a examiné la question centrale de savoir si le droit à la protection contre « tous traitements ou peines cruels et inusités » garanti à l’article 12 de la Charte s’étend aux personnes morales. La CSC a conclu à l’unanimité que ce n’était pas le cas, en se fondant sur trois motifs concurrents.
La majorité des juges de la Cour souligne que le critère de base de l’article 12 est de savoir si le traitement infligé à l’individu concerné est « exagérément disproportionné » au point de « constituer une atteinte aux normes de la décence » et d’être « odieux ou intolérable »[2]. En appliquant ce critère à l’espèce, la Cour statue qu’« une amende excessive (qu’une personne morale peut se voir infliger), sans plus, n’est pas inconstitutionnelle », confirmant ainsi que l’objectif de l’article 12 est « inextricablement ancré dans la dignité humaine »[3]. La Cour indique que le libellé de cet article dénote une protection que seul un être humain peut avoir, établissant une norme constitutionnelle qui ne saurait s’appliquer aux traitements ou aux peines infligés aux personnes morales.
Dans son opinion concordante, la juge Abella adopte une approche plus ciblée, analysant les objectifs et les origines de la Charte, ainsi que la manière dont les tribunaux ont interprété les nombreux instruments internationaux contenant des dispositions similaires. La juge Abella déclare que les personnes censées bénéficier de la protection de l’article 12 sont les personnes physiques, et non les personnes morales, car ces dernières ne possèdent pas l’attribut qu’est la « dignité humaine ou la capacité d’éprouver des douleurs ou souffrances physiques ou psychologiques »[4]. L’interprétation de la notion de traitements ou peines « cruels et inusités » serait forcée si elle était appliquée à une entité artificielle[5].
La troisième et dernière opinion concordante du juge Kasirer a souligné que le champ d’application de l’article 12 a été élargi au fil des ans, mais qu’il concerne toujours les êtres humains malgré le principe selon lequel les droits de la Charte doivent recevoir une interprétation large et libérale en fonction de l’objectif visé.
Conclusion
Cet arrêt de la CSC défend l’idée que l’expression « traitements ou peines cruels et inusités » de l’article 12 de la Charte renvoie à la douleur et à la souffrance humaines (mentale et physique), lesquelles ne peuvent être subies par des objets inanimés ou des personnes morales telles que des sociétés.
La Cour précise en outre que « le fait qu’il y ait des êtres humains derrière la personnalité morale est insuffisant pour justifier la revendication du droit garanti à l’art. 12 en faveur d’une personne morale, vu la personnalité juridique distincte de celle‑ci »[6]. Ainsi, les sociétés ne peuvent pas invoquer cette protection de la Charte pour faire valoir que les amendes réglementaires qui leur sont imposées affecteront directement les personnes physiques au sein de cette entité.
D’un point de vue politique, cette décision s’ajoute à la jurisprudence existante en matière de responsabilité des personnes morales, limitant leur capacité à nier la distinction qui existe sur le plan juridique entre elles et leurs employés lorsque cela les arrange, ainsi qu’à éviter des amendes prévues par la réglementation.
par Guy Pinsonnault et Shahnaz Dhanani (stagiaire)
[1] Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, au par. 57.
[2] Idem au par. 17 et 63.
[3] Idem au par. 17.
[4] Idem au par. 136.
[5] Idem au par. 135.
[6] Idem aux par. 2 et 129.
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.
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