Autorisation refusée : victoire importante pour les défendeurs visés par une action collective en droit de la concurrence
Autorisation refusée : victoire importante pour les défendeurs visés par une action collective en droit de la concurrence
L’action collective, à l’instar des films hollywoodiens, de la musique pop et des hamburgers au fromage, est une invention américaine qui, de manière un peu surprenante, fait fureur un peu partout dans le monde. Pour preuve, il est plus facile d’en faire autoriser une au Canada qu’aux États-Unis, du moins lorsqu’elle concerne le droit de la concurrence et les lois antitrust. Au cours de la dernière décennie, les tribunaux du Canada ont abaissé la barre pour ce qui est des actions collectives visant des complots anticoncurrentiels. Les demandes d’autorisation sont généralement accueillies ici, même lorsqu’elles sont rejetées dans des affaires parallèles chez nos voisins du sud de la frontière. Le rejet récent par la Cour fédérale de la demande d’autorisation d’exercer une action collective très en vue visant la DRAM est donc digne de mention.
La DRAM est une puce mémoire qui est intégrée dans une multitude d’appareils électroniques. Une proposition d’action collective a été présentée devant la Cour fédérale du Canada[1] contre les trois fabricants responsables de la quasi-totalité de la production mondiale de DRAM. Ces fabricants sont essentiellement accusés d’avoir comploté pour restreindre l’offre de DRAM en limitant l’augmentation de leur capacité de production dans le but de faire augmenter les prix. Les plaignants allèguent que les défendeurs se sont servis de déclarations publiques pour signaler leurs intentions et s’entendre pour comploter.
La Cour fédérale, dans une décision publiée le 5 novembre, a rejeté la demande d’autorisation et donné des indications utiles sur certains aspects de l’infraction de complot et des actions collectives qui s’y rapportent (ailleurs qu’au Québec)[2]. Premièrement, pour ce qui est du droit, la Cour a clairement réaffirmé que l’existence d’une entente était une condition essentielle de l’infraction de complot prévue à l’article 45 de la Loi sur la concurrence. Les gestes posés parallèlement qui ne font pas partie d’une entente ne constituent pas un complot. Une entente suppose un accord de volonté : il doit donc nécessairement y avoir eu dialogue.
La Cour a aussi à nouveau confirmé que le « parallélisme conscient » n’était pas illégal. Dans les marchés oligopolistiques très concentrés, il arrive que des concurrents adoptent des politiques de prix comparables sans se concerter. Les décisions unilatérales prises de façon parallèle, sans collusion, ne donnent pas lieu à une infraction de complot, puisqu’il n’y a pas d’accord de volonté. Le fait pour un acteur du marché de donner des renseignements sur sa conduite ou son interprétation du marché dans une déclaration faite publiquement, comme lors de la communication de ses résultats financiers ou d’une conférence, ne constitue pas une entente illégitime : il s’agit d’une simple communication unilatérale.
Deuxièmement, pour ce qui est de la décision d’autoriser ou non l’action collective, la Cour s’est montrée déterminée à analyser attentivement les documents des plaignants et a pris au sérieux son rôle de gardienne. L’étape de l’autorisation ne saurait être [traduction] « limitée dans sa portée ni réduite à un exercice futile et vide de sens ».
La Cour a conclu que les plaignants n’avaient pas réussi à démontrer une cause d’action valide et qu’ils n’avaient pas établi un fondement factuel suffisant pour appuyer l’existence du complot allégué.
La Cour a rappelé aux plaignants qu’ils devaient présenter des faits importants suffisamment détaillés au soutien de leur demande et de la réparation demandée, soit, dans le cas d’une allégation de complot, les parties impliquées, leur relation, l’entente intervenue entre elles, le but du complot, les gestes manifestes posés pour le réaliser et le préjudice subi. Si une cour doit tenir pour vrais les faits importants présentés, elle n’est pas tenue d’accepter des conclusions juridiques non étayées. De simples allégations d’incitation au complot sont vagues, générales et insuffisantes. La Cour a qualifié de « partie de pêche » la déclaration concernant le prétendu complot.
De la même façon, les plaignants n’ont pas démontré de fondement factuel à l’appui de leur allégation, laquelle doit être au moins soutenue par un semblant de preuve, et non se limiter à de la simple spéculation. La Cour mentionne qu’une preuve circonstancielle peut permettre de déduire qu’il y a eu entente, pourvu que des éléments prouvent que les parties ont communiqué entre elles. Il doit à tout le moins y avoir eu une offre ou une invitation, puis des gestes desquels une acceptation peut être inférée.
Dans sa décision, la Cour réitère son devoir d’examiner attentivement la preuve. L’un des points les plus importants soulignés dans la décision est certainement celui selon lequel l’autorisation ne se résume pas à une étape d’approbation à l’aveuglette [traduction] :
Une action collective en droit de la concurrence visant une allégation de complot au sens de l’article 45 de la Loi ne peut être autorisée sur la seule foi de suppositions ou d’illusions quant à l’existence d’une entente, sans un soupçon de preuve de conduite illégale. […]
À mon avis, autoriser l’exercice de l’action collective envisagée à la lumière du dossier qui m’a été présenté créerait un dangereux précédent. Nous ouvririons la voie à des demandes fondées sur l’article 36 dans lesquelles les effets anticoncurrentiels apparents sont uniquement accompagnés d’allégations non fondées et de suppositions quant à la conduite collusoire des prétendus membres du complot. […]
L’étape de l’autorisation demeure une barrière importante, un « mécanisme de filtrage efficace » qui ne doit en aucun cas être vu comme une « simple formalité ». […]
Lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas suffisamment de faits substantiels et d’éléments de preuve pour soutenir la conduite illégale alléguée qui sous-tend l’action collective, la Cour se doit, même lors de cette étape procédurale qu’est l’autorisation, de rejeter une telle demande insoutenable et spéculative.
Dans cette affaire, la Cour fédérale réaffirme donc l’importance d’effectuer un examen minutieux du dossier pour confirmer que le plaignant s’est déchargé de son fardeau. Voilà une prise de position encourageante.
[1] Jensen Samsung Electronics et al, 2021 FC 1185. TRC-Sadovod a représenté les défendeurs Micron dans les deux dossiers.
[2] La Cour supérieure du Québec a également refusé d’autoriser une action collective parallèle en juin 2021 dans l’affaire Hazan Micron Technology inc., 2021 QCCS 2710.
par David Kent, Samantha Gordon et James Musgrove
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
© TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021
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