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Arrêtez le compte à rebours! Que signifie pour vous la suspension des délais civils au Québec

21 avril 2020 Bulletin de lititge Lecture de 4 min

Le 13 mars, la province de Québec a déclaré l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie de COVID-19 en vertu de l’article 118 de la Loi sur la santé publique du Québec. Le 15 mars, le ministère de la Justice a emboîté le pas en publiant l’Arrêté n° 2020-4251 de la juge en chef du Québec et de la ministre de la Justice (l’« Arrêté »). L’Arrêté a suspendu les délais « en matière civile », sauf pour les affaires urgentes. Des arrêtés subséquents ont précisé et élargi cette mesure. Depuis, les tribunaux de toute la province fonctionnent à capacité réduite. Que signifie concrètement la suspension des délais « en matière civile » pour vous? Quelles seront ses conséquences pratiques pour les actions imminentes et en cours d’instance?

Contexte

La ministre de la Justice et la juge en chef du Québec peuvent, de concert, suspendre les délais de prescription ou de procédure en matière civile en vertu de l’article 27 du Code de procédure civile (« C.p.c. »). Ce pouvoir englobe presque tous les délais se rapportant aux litiges civils, y compris les délais pour le dépôt des demandes en cours d’instance convenues par les parties, ainsi que la plupart des délais prévus par la loi pour l’exécution de certains actes. À noter que l’Arrêté ne s’applique qu’aux délais prescrits par les lois provinciales du Québec.

L’article 27 C.p.c. permet à la ministre et à la juge en chef de suspendre ou de prolonger ces délais. En l’occurrence, elles ont choisi de suspendre les délais aussi longtemps que l’état d’urgence sanitaire reste en vigueur. En termes simples, la « suspension » signifie que le « compte à rebours » dans toute affaire civile non urgente est arrêté jusqu’à la fin de l’état d’urgence. Par exemple, une partie qui avait jusqu’au 20 mars 2020 pour déposer une demande interlocutoire disposait encore d’une semaine pour ce faire à la prise d’effet de la suspension le 13 mars. La partie disposera encore d’une semaine pour déposer sa demande à partir du jour de la levée de l’état d’urgence.

L’Arrêté s’applique à la fois aux actions en instance et aux actions imminentes. Nous traiterons des deux principales conséquences ci-dessous. D’abord, la suspension des délais civils a une incidence sur les délais de prescription. Ces délais correspondent au temps dont dispose une partie pour faire valoir un droit, habituellement en introduisant une action en justice contre une autre partie. Ensuite, la suspension s’applique aux délais d’inscription. Les délais d’inscription sont le temps dont disposent les parties à un litige en cours pour préparer leur litige  pour instruction.

Délais de prescription

Dans la plupart des affaires civiles (à quelques exceptions près), le délai de prescription est de trois ans à partir du jour où la partie a connaissance d’un acte préjudiciable qui donne naissance à son droit d’action. L’échéance du délai de prescription éteint le droit d’action de la partie. À partir du 13 mars, les délais de prescription relevant des lois provinciales sont suspendus. Cela signifie que les comptes à rebours sont arrêtés et que la prescription est « en état de sommeil », pour reprendre le terme employé par la jurisprudence.

À titre d’exemple, imaginons que le 22 avril 2017, le chef des finances de la société ABC se rend compte qu’un fournisseur a enfreint une modalité essentielle du contrat qui les unit. Le délai dont dispose ABC pour introduire une action arriverait normalement à échéance trois ans plus tard, soit le 22 avril 2020. Toutefois, la prescription a été suspendue et le compte à rebours s’est arrêté le 13 mars, date à laquelle ABC avait encore 40 jours pour introduire une action. ABC a maintenant un nouveau délai pour intenter une action : 40 jours à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Le calcul est simple, si, comme dans l’exemple précédent, le délai de prescription prend fin pendant l’état d’urgence sanitaire. Mais qu’en est-il si le délai de prescription s’achève bien après la fin de l’état d’urgence? Voici un exemple : la société XYZ a découvert un acte préjudiciable le 5 juin 2019. Normalement, son droit d’action prendrait fin le 5 juin 2022. Par contre, étant donné la suspension prévue par l’Arrêté, le compte à rebours est interrompu pendant l’état d’urgence. Ainsi, XYZ pourrait plaider que son échéance doit être repoussée d’une durée équivalente à la durée de l’état d’urgence. Si l’état d’urgence dure trois mois, le compte à rebours serait interrompu pour trois mois également, et l’échéance serait reportée du 5 juin au 5 septembre 2022.

De telles affaires pourraient devenir problématiques dans quelques années, lorsque les parties tenteront d’utiliser l’état d’urgence pour justifier l’introduction d’actions qui seraient normalement prescrites.

Délais d’inscription

Après qu’une poursuite civile est intentée, les parties ont normalement six mois pour réaliser toutes les étapes procédurales préalables à l’instruction. Au Québec, c’est ce qu’on appelle le délai d’inscription; à son échéance, les parties doivent avoir déposé l’ensemble de la preuve, réalisé les interrogatoires préalables à l’instruction et produit tous les rapports d’expert. Ce délai est normalement « de rigueur », c’est-à-dire qu’il ne peut être prolongé qu’avec l’autorisation du tribunal, à la demande d’une ou de plusieurs parties.

Dans la situation actuelle, le compte à rebours de six mois est arrêté. Cette suspension est plus simple à comprendre. Comme les tribunaux sont fermés pour toutes les affaires non urgentes et que la plupart des actions sont suspendues, les parties ne doivent pas être pénalisées si elles ne parviennent pas à réaliser toutes les étapes préalables à l’instruction dans ce délai de six mois. Certains tribunaux du Québec ont indiqué qu’une fois l’état d’urgence sanitaire terminé, ils adapteraient les délais d’inscription pour toutes les affaires en cours et communiqueraient les nouvelles échéances aux parties concernées. Les tribunaux ont encouragé les parties à compléter, dans la mesure du possible, les étapes préalables à l’instruction convenues dans leurs protocoles de l’instance, mais il n’y aura pas de conséquences pour les parties qui ne respecteraient pas le délai prévu pour ces étapes, dans le contexte de l’état d’urgence.

Conclusion – À quoi s’attendre?

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, on entend souvent dire que la crise changera notre quotidien pour longtemps, même après sa conclusion. Au Québec, les activités juridiques ne font pas exception. Les entreprises doivent s’attendre à ce que les litiges en cours s’étirent encore davantage. Plus important encore, les parties doivent s’attendre à recevoir – même des années après la fin de la pandémie – des réclamations qui devraient être frappées de prescription, mais qui pourraient, selon les demandeurs, bénéficier de la suspension de prescription.

par Simon Paransky

Mise en garde

Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder entièrement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres conseillers juridiques.

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