Ailes coupées, moteurs à l’arrêt : la taxe de luxe fédérale proposée soulève des préoccupations pour les vendeurs, les fabricants, les prestataires de services et les consommateurs
Ailes coupées, moteurs à l’arrêt : la taxe de luxe fédérale proposée soulève des préoccupations pour les vendeurs, les fabricants, les prestataires de services et les consommateurs
Le 10 août 2021, le gouvernement fédéral canadien a publié, aux fins de consultation, les détails de sa future taxe de luxe qui s’appliquera à l’acquisition de certains aéronefs, voitures et bateaux neufs (la « taxe de luxe »). La taxe de luxe devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2022. L’idée de la taxe de luxe a d’abord été soulevée dans la plateforme électorale de 2019 du Parti libéral fédéral et a été reprise dans l’annonce du budget du gouvernement fédéral le 19 avril 2021.
Reprenant la formule de l’annonce du budget, le récent communiqué sur la taxe de luxe énonce que, compte tenu de l’incidence économique inégale de la crise de la COVID-19, « il est justifié de demander aux Canadiens qui peuvent se permettre d’acheter des produits de luxe d’en payer un tout petit peu plus ». Cependant, il était estimé dans le budget que la taxe de luxe rapporterait 604 millions de dollars sur cinq ans, alors que les dépenses fédérales liées à la COVID dépassent 345 milliards de dollars à ce jour. Par conséquent, si la taxe de luxe vise à compenser les dépenses liées à la COVID, elle ne constitue pas le moyen le plus efficace d’y parvenir.
Comment la taxe de luxe s’appliquerait
Il est proposé que la taxe de luxe s’applique à l’acquisition d’un aéronef (avion ou hélicoptère), d’une voiture ou d’un bateau qui répond à tous les critères suivants (collectivement, un « véhicule ») :
- Le prix d’achat brut, y compris les droits, les frais et les taxes applicables autres que la TPS, la TVH, la TVP et la TVQ, dépasse 100 000 $ CA, dans le cas d’un aéronef ou d’une voiture, ou 250 000 $, dans le cas d’un bateau;
- Dans le cas d’un aéronef, sa capacité maximale est inférieure à 40 sièges passagers; dans le cas d’un bateau, seul est visé celui qui est conçu aux fins de loisir ou à des fins récréatives ou sportives (un « bateau désigné »); dans le cas d’une voiture, la taxe s’applique à l’égard d’un véhicule de tourisme d’une capacité maximale de neuf passagers et d’un poids nominal brut d’au plus 3 856 kg;
- Il est neuf, assorti d’une date de fabrication postérieure à 2018;
- Il n’est pas autrement exonéré de la taxe de luxe (voir détails ci-dessous);
- Dans le cas d’une voiture, celle-ci n’a pas été mise en service au Canada antérieurement ou, dans le cas d’un aéronef ou d’un bateau désigné, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC») n’a pas émis antérieurement un certificat attestant que la taxe de luxe a déjà été payée à son égard (l’intention apparente consistant donc à ne pas assujettir plus d’une fois un véhicule en particulier à la taxe de luxe).
Les cas suivants déclencheraient l’application de la taxe de luxe :
- À l’acquisition d’un véhicule à partir du 1erjanvier 2022 : soit au moment de la livraison au Canada (auquel cas la taxe est perçue par un vendeur inscrit pour versement à l’ARC) ou au moment de l’importation au Canada (auquel cas la taxe serait perçue par l’Agence des services frontaliers du Canada). Les livraisons et les importations effectuées à partir du 1er janvier 2022 seraient exonérées si elles faisaient l’objet d’une entente écrite conclue avant le 20 avril 2021.
- L’acquisition d’un véhicule par un locateur afin de le louer serait généralement assujettie à la taxe de luxe, tandis qu’un locataire ne serait pas assujetti à la taxe de luxe sur la location.
- Les modifications apportées à un véhicule (sauf à certaines fins d’accessibilité) dans un délai de 12 mois de la livraison ou de l’importation, lorsque le prix total payé est égal ou supérieur à 5 000 $.
- Lorsque, en raison d’un changement d’utilisation, un aéronef ou un bateau désigné duquel « la totalité ou la presque totalité » (ce qui, à des fins fiscales, signifie généralement 90 % ou plus) de l’utilisation était antérieurement certifiée avoir lieu dans le cadre d’une « activité exonérée admissible » (décrite ci-dessous) cesse de répondre à ce critère, le propriétaire doit établir une autocotisation et verser la taxe.
La taxe de luxe correspond au montant le moins élevé entre 10 % de la valeur totale du véhicule et 20 % de la valeur supérieure à 100 000 $. En outre, le calcul de la TPS (et probablement de la TVP et de la TVQ) serait fondé sur le prix de vente final, y compris toute taxe de luxe applicable.
L’exemple suivant illustre le calcul pour un aéronef importé d’une valeur de 1 million de dollars :
Montant | |
Valeur totale | $1,000,000 |
(a) Taxe de luxe @ 10 % de la valeur totale | $100,000 |
(b) Taxe de luxe @ 20 % de la valeur supérieure à 100 000 $ | $180,000 |
Taxe de luxe (le moins élevé de (a) et de (b)) | $100,000 |
Sous-total | $1,100,000 |
TPS | $55,000 |
Total de la taxe de luxe et de la TPS | $155,000 |
Cas d’exonération de la taxe de luxe
Aéronefs
Tout aéronef sera exonéré de la taxe de luxe dans chacun des cas suivants : (i) il a été acquis par un « utilisateur admissible » (à savoir un service de police, un service d’incendie ou une municipalité); ou (ii) son utilisation est « en totalité ou en presque totalité » certifiée avoir lieu dans le cadre d’une ou plusieurs « activités exonérées admissibles », notamment les suivantes :
- Les vols à destination et en provenance de collectivités éloignées accessibles par transport aérien;
- Un service régulier au grand public;
- Un service d’ambulance aérienne;
- Une formation en vol;
- Un service de fret;
- La prestation d’un service d’affrètement lorsque la totalité ou la presque totalité des sièges est offerte en vente, individuellement, à des particuliers sans lien de dépendance avec le vendeur.
Alors que l’annonce du budget mentionnait que les aéronefs « personnels » seraient assujettis à la taxe de luxe, la proposition récente n’établit plus cette distinction et s’applique également aux aéronefs appartenant à des sociétés qui n’entrent pas dans le champ d’application étroitement défini des activités exonérées admissibles. Ainsi, l’acquisition d’un aéronef à des fins professionnelles légitimes pourrait être assujettie à la taxe de luxe.
Bateaux désignés
Aucune exonération ne s’applique à l’égard des bateaux désignés comportant des lieux pour dormir (autres que les maisons flottantes). De plus, un bateau désigné ne peut être exonéré que s’il est destiné à être utilisé, « en totalité ou presque », dans le cadre d’« activités exonérées admissibles », qui consistent généralement en une exploitation à des fins autres que des fins récréatives ou sportives ou des fins de loisir ou d’autre jouissance de l’acheteur ou de personnes liées.
Voitures
Les seules exonérations de la taxe de luxe applicables aux voitures sont centrées sur la nature particulière de la voiture plutôt que sur son utilisation, de sorte qu’il n’y a pas d’« activités exonérées admissibles ». Les exclusions comprennent les ambulances, les corbillards, les motocyclettes et les autocaravanes.
Conséquences pour les vendeurs
La taxe de luxe serait particulièrement contraignante pour les vendeurs.
Tout d’abord, si un vendeur sait, ou aurait dû savoir, qu’un acheteur a fait une fausse déclaration selon laquelle il est un utilisateur admissible d’un aéronef, ou selon laquelle l’aéronef ou le bateau désigné est destiné à être utilisé dans le cadre d’une activité exonérée admissible, le vendeur sera solidairement responsable avec l’acheteur tant de la taxe de luxe que d’une pénalité égale à 50 % de la taxe. Ainsi, étant donné que les vendeurs pourraient être assujettis à la taxe et à la pénalité même s’ils ne savent pas qu’il y a eu fausse déclaration, il serait prudent pour eux de documenter le fait qu’ils ont entrepris les démarches commercialement raisonnables pour faire enquête auprès des acheteurs afin d’éviter que leur responsabilité soit mise en cause.
Ensuite, la taxe de luxe établit un ensemble de règles d’inscription obligatoires, qui exigent de la plupart des vendeurs de véhicules dépassant le seuil de 100 000 $ qu’ils soient inscrits avant la première importation ou livraison d’un tel véhicule. Or, le vendeur qui n’effectue aucune vente admissible au cours de toute période de 12 mois risque de voir son statut d’inscription révoqué par l’ARC. Ce dernier point revêt une importance particulière, car l’inscription permet généralement au vendeur d’acquérir des stocks aux fins de revente sans que les acquisitions en question soient assujetties à la taxe de luxe.
Enfin, la taxe de luxe établit un régime de déclaration similaire à celui que requièrent les fins de la TPS. En particulier, les vendeurs inscrits seraient tenus de produire une déclaration de taxe de luxe chaque trimestre et de verser à l’ARC toute taxe de luxe due pour ce trimestre. En outre, les inscrits auraient à tenir, pour une période de six ans, des registres suffisants pour montrer qu’ils se conforment aux diverses règles applicables aux termes du régime de la taxe de luxe.
Le vendeur ou l’importateur inscrit d’un aéronef ou d’un bateau désigné doit également déposer auprès de l’ARC une demande de certificat pour la taxe payée dans la période d’un an suivant la vente ou l’importation, faute de quoi une pénalité de 1 000 $ s’applique.
Points principaux à retenir
La taxe de luxe soulève plusieurs préoccupations troublantes, notamment les suivantes :
- Elle entraînera l’imposition d’une série supplémentaire et onéreuse d’obligations d’inscription et de déclaration semblables à celles qui s’appliquent déjà au régime de la TPS, augmentant ainsi le fardeau de la conformité des vendeurs.
- Bien qu’elle soit appelée « taxe de luxe », son application ne se limite pas aux achats effectués par des particuliers. Ainsi, dans de nombreux cas, des acheteurs d’aéronefs, voitures et bateaux à des fins professionnelles légitimes seront aussi assujettis à la taxe de luxe.
- La taxe de luxe encouragera les acheteurs à acheter des véhicules plus vieux et potentiellement moins efficaces, qui pourraient être plus polluants et moins sécuritaires que les véhicules plus récents.
- La taxe de luxe exposera les acheteurs et les vendeurs à un niveau accru de risque d’audit, car l’ARC cherchera à vérifier qu’ils se conforment toujours aux règles de ce régime.
- Les préoccupations propres au secteur de l’aviation comprennent les suivantes :
- La taxe de luxe incitera les acheteurs à acheter des aéronefs auprès de vendeurs non canadiens, de même qu’à immatriculer et à entretenir les aéronefs hors du Canada tout en poursuivant les vols dans l’espace aérien canadien. Une telle situation nuirait aux activités des fabricants, des concessionnaires, des centres de services et des sociétés de gestion d’aéronefs au Canada, en plus d’entraîner des répercussions réglementaires.
- Il est paradoxal que le gouvernement fédéral instaure une taxe qui aurait des répercussions négatives importantes sur les emplois et les entreprises du secteur de l’aviation, après avoir annoncé récemment diverses initiatives visant des investissements cumulatifs de 689 millions de dollars dans ce secteur.
Le gouvernement sollicite l’envoi de commentaires écrits sur la proposition à l’adresse [email protected] d’ici au 30 septembre 2021.
Par Steven Sitcoff
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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