Accords de poursuite suspendue : Le recours continu aux APS dans le domaine de l’antitrust aux États-Unis
Accords de poursuite suspendue : Le recours continu aux APS dans le domaine de l’antitrust aux États-Unis
Introduction
Dans le cadre de notre série en cours sur le régime canadien des accords de poursuite suspendue (les « APS »), nous nous sommes penchés sur l’utilisation des APS dans d’autres territoires, notamment aux États-Unis, où l’on observe un recours croissant aux APS dans le domaine de l’antitrust. Dans le présent bulletin, nous nous tournons à nouveau vers les États-Unis et discutons de l’APS récemment conclu par Argos USA LLC (« Argos ») avec le département de la Justice des États-Unis (le « DOJ »).
L’APS d’Argos
Le 4 janvier 2021, le DOJ a annoncé qu’il avait accusé Argos, une société spécialisée dans la production et la vente de béton préparé dont le siège social est situé en Géorgie, de participer à un complot visant à fixer les prix, à truquer les offres et à attribuer les marchés dans le domaine de la vente de béton préparé entre 2010 et 2016[1].
Argos est la deuxième société contre laquelle une accusation est portée dans cette affaire. Le 3 septembre 2020, le DOJ a annoncé qu’un grand jury fédéral avait inculpé la société Evans Concrete, LLC et quatre personnes pour leurs rôles dans un complot de longue date visant à fixer les prix, à truquer les offres et à attribuer les marchés pour le béton préparé en Géorgie[2].
Selon l’accusation déposée devant le tribunal américain, les employés d’Argos et d’autres entreprises de béton préparé ont comploté en coordonnant l’envoi de lettres d’augmentation de prix aux clients, en attribuant des projets de béton préparé spécifiques en Géorgie, en facturant des suppléments de carburant et des frais environnementaux et en présentant des soumissions aux clients à des prix collusoires et non compétitifs[3].
Le DOJ a par la suite annoncé la conclusion d’un APS relativement au chef d’accusation d’acte délictueux grave qui pesait contre Argos. Aux termes de l’APS, Argos a accepté de payer une sanction pénale de 20 M$ fondée sur un volume de commerce d’au moins 83 M$, a admis avoir participé au complot reproché et a accepté de collaborer pleinement à l’enquête criminelle en cours et aux poursuites de la division antitrust contre d’autres personnes impliquées dans le complot. Dans le cadre de l’APS, Argos a également accepté de mettre sur pied un programme de conformité et d’éthique qui est conçu pour prévenir et détecter les violations des lois antitrust et qui répond à certains éléments spécifiés dans l’APS. Argos a aussi accepté d’effectuer des examens réguliers et de soumettre des rapports annuels à la division antitrust concernant les mesures correctives et la mise en œuvre de son programme de conformité[4].
Les APS dans le contexte de l’antitrust
Comme mentionné dans notre bulletin de juin 2020, la division antitrust du DOJ a traditionnellement évité les APS à l’égard des infractions liées à la concurrence, car on croyait alors que les APS portaient atteinte à l’amnistie possible dans le cadre du Leniency Program (Programme de clémence) du DOJ[5]. Toutefois, en juillet 2019, le DOJ a annoncé officiellement qu’il permettrait aux procureurs de régler les enquêtes sur les poursuites pénales en violation des lois antitrust, en ayant recours aux APS dans certaines circonstances[6]. Le DOJ a par la suite conclu plusieurs APS avec des sociétés de fabrication de médicaments génériques à la suite d’une enquête en cours sur la fixation des prix, le truquage des offres et d’autres comportements anticoncurrentiels dans ce secteur[7].
En concluant des APS avec les sociétés de fabrication de médicaments génériques, le DOJ s’est concentré sur l’incidence négative qu’une condamnation aurait sur les parties prenantes internes et externes de ces sociétés. Les APS énoncent qu’« [traduction] une condamnation (y compris un plaidoyer de culpabilité) entraînerait vraisemblablement… l’exclusion automatique de tous les programmes de soins de santé fédéraux… pour une période d’au moins cinq ans ». Un plaidoyer de culpabilité ou une condamnation empêcherait ces fabricants de médicaments génériques de conclure des contrats avec des organismes gouvernementaux, ce qui aurait des répercussions plus importantes sur les consommateurs et les employés. De plus, l’exclusion des sociétés de fabrication de médicaments génériques des programmes fédéraux de soins de santé (autrement dit, une ordonnance d’exclusion de ces sociétés) réduirait par inadvertance la concurrence, car elle les empêcherait de participer au marché. Réduire ainsi la concurrence serait contraire aux intentions et aux objectifs de la législation sur la concurrence.
Ces considérations importantes relatives aux APS conclus avec les sociétés fabriquant des médicaments génériques ne sont clairement pas prises en compte dans l’APS d’Argos[8]. En revanche, l’APS d’Argos souligne que les gestes illégaux n’étaient le fait que d’un petit nombre d’employés qui se sont joints à Argos à la suite de l’acquisition des actifs d’une autre entreprise en octobre 2011, au sein de laquelle le complot avait déjà commencé[9]. Ces employés travaillaient dans un bureau de vente local. Bien que la direction d’Argos en dehors de ce bureau de vente local n’ait pas participé à cette conduite et ne l’ait pas cautionnée, Argos en a tout de même hérité à la suite de l’acquisition d’actifs, et cette situation a duré environ 5 ans[10].
L’APS d’Argos révèle un manque de transparence quant aux considérations dont le DOJ a tenu compte dans la conclusion de l’APS. Bien que la possibilité que les sociétés de fabrication de médicaments génériques soient exclues des programmes fédéraux de soins de santé à la suite d’un plaidoyer de culpabilité ou d’une condamnation et que les conséquences importantes d’une telle exclusion aient été clairement décrites dans les APS conclus avec ces sociétés, aucune considération de ce genre ou de conséquences à large portée ne semble être en cause dans l’APS d’Argos. Ce manque de transparence pourrait éventuellement poser des problèmes à l’égard du Leniency Program (Programme de clémence) du DOJ.
Conclusions – Des APS antitrust au Canada?
Au Canada, la Loi sur la concurrence interdit les activités commerciales anticoncurrentielles, y compris les complots entre concurrents ou concurrents potentiels pour fixer les prix, attribuer les marchés ou réduire la production (comme la fixation des prix, la répartition des marchés ou les accords de restriction de la production) et le truquage des offres[11]. À l’heure actuelle, les programmes d’immunité et de clémence du Bureau de la concurrence, qui servent à découvrir et à mettre fin aux activités anticoncurrentielles interdites par la Loi sur la concurrence, sont l’un des outils disponibles pour contrer les activités anticoncurrentielles interdites par la Loi sur la concurrence.
Comme mentionné dans notre bulletin de juin 2020, le régime canadien des APS exclut la possibilité de conclure des APS pour des infractions à la Loi sur la concurrence[12]. Cependant, l’évolution du DOJ vers un recours accru aux APS dans le contexte d’accusations d’actes délictueux graves en violation des lois antitrust permet de tirer des leçons et fournit des indications sur la possibilité pour le Canada de mettre en œuvre le recours aux APS dans le cadre d’activités anticoncurrentielles. Le recours aux APS pour des infractions à la Loi sur la concurrence pourrait compléter les programmes déjà offerts par le Bureau canadien de la concurrence, notamment les programmes d’immunité et de clémence qui connaissent un grand succès[13].
L’extension par le DOJ des APS aux violations graves des lois antitrust pourrait donner un aperçu des avantages et des inconvénients d’un élargissement des circonstances dans lesquelles les APS sont accessibles aux entreprises canadiennes. Bien que le Canada n’ait pas encore élargi le recours aux APS aux infractions en matière de concurrence, le Canada peut se tourner vers d’autres pays pour avoir un aperçu des moyens de combattre la criminalité des entreprises.
[1] Département de la Justice des États-Unis, Ready-Mix Concrete Company Admits to Fixing Prices and Rigging Bids in Violation of Antitrust Laws (4 janvier 2021).
[2] Département de la Justice des États-Unis, Ready-Mix Concrete Company And Individuals Indicted For Fixing Prices And Rigging Bids In Violation Of Antitrust Laws.
[3] Département de la Justice des États-Unis, Ready-Mix Concrete Company Admits to Fixing Prices and Rigging Bids in Violation of Antitrust Laws (4 janvier 2021).
[4] Département de la Justice des États-Unis, Ready-Mix Concrete Company Admits to Fixing Prices and Rigging Bids in Violation of Antitrust Laws (4 janvier 2021).
[5] Département de la Justice des États-Unis, Frequently Asked Questions (2017).
[6] Département de la Justice des États-Unis, Assistant Attorney General Makan Delrahim Delivers Remarks at the New York University School of Law Program on Corporate Compliance and Enforcement – Wind of Change: A New Model for Incentivizing Antitrust Compliance Programs (11 juillet 2019).
[7] Voir Département de la Justice des États-Unis, Major Generic Pharmaceutical Company Admits to Antitrust Crimes (2 mars 2020) et Département de la Justice des États-Unis, Sixth Pharmaceutical Company Charged In Ongoing Criminal Antitrust Investigation (23 juillet 2020).
[8] Voir Argos USA LLC DPA au paragraphe 5.
[9] LarfargeHolcim, Lafarge sells its Cement and Concrete assets in the southeast United States for 760 MUSD (12 mai 2011).
[10] Voir Argos USA LLC DPA
[11] Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34, art 45-49. Voir aussi Gouvernement du Canada, Programmes d’immunité et de clémence en vertu de la Loi sur la concurrence (15 mars 2019).
[12] Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34.
[13] Voir Gouvernement du Canada, Programmes d’immunité et de clémence en vertu de la Loi sur la concurrence (15 mars 2019). Comme l’ont noté le commissaire de la concurrence et le Bureau du directeur des poursuites pénales, « l’immunité est accordée de façon extraordinaire par la Couronne afin d’éviter des poursuites, alors que la clémence est une décision discrétionnaire de la Couronne de recommander une réduction des sanctions à être imposées par un tribunal. Le SPPC et le Bureau reconnaissent qu’il est dans l’intérêt public d’offrir l’immunité contre des poursuites pénales ou un traitement clément à un participant qui est prêt à cesser sa participation à une activité criminelle de nature sérieuse en vertu de la Loi [sur la concurrence] et qui collabore de manière importante à une enquête ».
par Guy Pinsonnault, Jamieson D. Virgin et Komal Jatoi
Mise en garde
Le texte qui précède ne donne qu’un aperçu du sujet et ne constitue pas un avis juridique. Les lecteurs sont mis en garde contre toute décision fondée uniquement sur le présent matériel. Il est préférable d’obtenir des conseils juridiques spécifiques.
© TRC-Sadovod S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2021
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