2022 : un début hallucinant pour le secteur des substances psychédéliques
2022 : un début hallucinant pour le secteur des substances psychédéliques
Après une croissance marquée l’an dernier, le secteur des substances psychédéliques apprend dès le début de 2022 que Santé Canada a adopté des modifications très attendues au Programme d’accès spécial (PAS). Désormais, les médecins pourront avoir accès à des substances psychédéliques pour leurs patients admissibles. Cette décision fait suite à l’évolution de l’opinion publique en faveur de ces substances et au fait que le régime réglementaire canadien permet désormais l’accès aux substances psychédéliques dans des circonstances limitées grâce à une exemption accordée par le ministre de la Santé.
Les substances psychédéliques maintenant accessibles aux médecins
En officialisant le 5 janvier 2022 les modifications proposées (les « modifications ») au PAS, Santé Canada permet aux médecins d’avoir désormais accès à certaines substances psychédéliques pour leurs patients admissibles. En 2013, de précédentes modifications au Règlement sur les aliments et drogues (le « Règlement ») [1] entraînaient le rejet de toute demande de médicaments à usage restreint dans le cadre du PAS, et empêchaient donc les patients d’accéder à des drogues comme la psilocybine pour un traitement médical autrement qu’à des fins de recherche clinique ou qu’en vertu d’une exemption au titre de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS)[2], point discuté plus loin.
Dans le cadre du PAS, le ministre peut émettre une lettre autorisant le fabricant d’un médicament non approuvé à fournir celui-ci à un praticien pour le traitement d’un patient atteint d’une maladie grave ou mettant sa vie en danger. Avec les modifications au Règlement, une telle lettre peut maintenant être émise pour des substances psychédéliques. Ces substances sont accessibles au cas par cas et uniquement dans les situations urgentes « lorsque les traitements conventionnels ont échoué, ne conviennent pas ou ne sont pas disponibles[3] ».
Dans une déclaration accompagnant les modifications, Santé Canada a fait remarquer qu’en général, les médicaments d’usage restreint n’ont pas d’usage médical approuvé, mais que l’efficacité et l’innocuité de certains d’entre eux pour le traitement de maladies mentales et physiques sont mieux établies aujourd’hui qu’en 2013[4]. Ces progrès de la science s’accompagnent d’un virage dans la perception des substances psychédéliques par le public, ce qu’a relevé Santé Canada dans sa discussion sur les lettres reçues pendant la période de consultation ayant suivi la publication en décembre 2020 d’un avis annonçant son intention de rétablir l’accès à des substances psychédéliques par le biais du PAS.
Fait notable, les commentaires de personnes opposées aux changements, formulés dans les centaines de soumissions reçues pendant la consultation, représentaient moins de 2 % de l’ensemble des réponses[5].
Cet appui constaté par Santé Canada va dans le même sens que les autres données recueillies sur le sujet. En août 2021, l’Association psychédélique canadienne a dévoilé les résultats d’un sondage de Nanos Research selon lesquels 82 % des Canadiens approuveraient l’accès à la thérapie par la psilocybine dans les cas de diagnostics palliatifs, et 78 % d’entre eux appuieraient un gouvernement qui légaliserait cet accès[6]. Aux États-Unis, les électeurs et les législateurs ont commencé à tenir compte de ce soutien croissant dans leurs décisions, notamment par des efforts législatifs décriminalisant certaines substances dans quelques États et municipalités[7].
Régime réglementaire et article 56
Comme mentionné dans un bulletin précédent publié en mai 2021, les substances psychédéliques sont classées comme « substances désignées » au titre de la LRCDAS. Les substances désignées sont groupées dans des annexes distinctes, l’annexe I contenant les substances qui présenteraient le plus grand risque d’utilisation abusive et s’accompagnent donc des pénalités les plus sévères. La plupart des substances psychédéliques sont caractérisées comme des substances de l’annexe III (par exemple, psilocybine, psilocine, mescaline et DMT), à l’exception de la kétamine et de la MDMA, qui sont des substances appartenant à l’annexe I.
En règle générale, la LRCDAS interdit la possession, la vente, l’importation, l’exportation, la production, le transfert et le transport de toutes les substances désignées. Toutefois, le ministre de la Santé peut accorder une exemption en vertu de l’article 56 de la LRCDAS (l’« exemption au titre de l’article 56 »), pour des raisons médicales ou scientifiques, ou s’il estime que des raisons d’intérêt public le justifient ou à des fins cliniques ou de recherche en vertu du Règlement sur les aliments et drogues et du Règlement sur les stupéfiants[8].
En vertu du Règlement sur les aliments et drogues, les particuliers et les entreprises situés au Canada peuvent demander un permis de distribution de psilocine, de psilocybine, de mescaline, de DMT et de MDMA. Cependant, un distributeur autorisé au Canada peut uniquement vendre des substances psychédéliques à un établissement à des fins cliniques ou de recherche, lequel doit obtenir également une autorisation auprès de Santé Canada pour leur utilisation[9]. Un distributeur autorisé peut aussi importer et exporter des substances désignées, mais doit détenir un permis de Santé Canada pour chaque importation et exportation[10]. Il est également possible d’obtenir un permis en vertu du Règlement sur les stupéfiants pour la kétamine, et les mêmes restrictions que celles mentionnées dans le présent bulletin s’appliquent généralement. En conséquence, comme ces permis ouvrent la voie à l’achat et à la vente de substances psychédéliques, les activités des distributeurs sont fortement réglementées.
Le régime réglementaire et l’usage médical des substances psychédéliques sont les principales raisons pour lesquelles ces substances ne doivent pas être comparées au cannabis, qui a la particularité d’avoir été accepté pour la consommation à des fins récréatives pour les adultes. Les coûts de lancement des produits peuvent être potentiellement plus élevés dans le secteur des substances psychédéliques, et la période d’essai avant la commercialisation est plus longue (sans compter que la commercialisation n’est pas garantie). Pour plus d’information sur la réglementation des substances psychédéliques, veuillez consulter notre précédent bulletin publié en juillet 2020.
Mise à jour concernant les exemptions au titre de l’article 56
En août 2020, le ministre de la Santé a accordé à quatre Canadiens atteints d’un cancer en phase terminale une exemption au titre de l’article 56 pour l’usage de la psilocybine[11]. Leur demande collective a d’abord été rejetée, mais les demandes individuelles ont par la suite été approuvées. Depuis, le ministre de la Santé a accordé un total de 66 exemptions au titre de l’article 56. Selon les derniers chiffres, au moins 47 personnes ont reçu cette exemption pour leur détresse psychologique de fin de vie, 19 exemptions ont été accordées à des praticiens à des fins de formation et plusieurs autres à des établissements et à des sociétés de recherche[12]. Qui plus est, de récents rapports indiquaient que plus de 150 demandes adressées à Santé Canada étaient encore sans réponse[13], ce qui dénote un volume élevé de demandes.
En 2021, des administrations publiques ont aussi fait des demandes d’exemption pour décriminaliser la possession personnelle de petites quantités de substances désignées à des fins de santé publique. C’est le cas de la Colombie-Britannique qui a demandé en novembre 2021 une exemption à Santé Canada pour permettre à des personnes de plus de 19 ans d’avoir de petites quantités de drogues dures illégales comme l’héroïne, le fentanyl, la méthamphétamine, le crack et la poudre de cocaïne, et ce, sans pénalité. La province envisage de présenter ultérieurement une demande pour d’autres substances comme la psilocybine et la MDMA[14]. Cette décision fait suite à la demande d’exemption présentée à Santé Canada en mai 2021 par la Ville de Vancouver pour autoriser la possession d’une certaine quantité de substances psychédéliques, soit 20 g pour les champignons de psilocybine et 3 g pour la kétamine[15]. Aucune décision n’a encore été publiée pour les demandes susmentionnées.
La Ville de Toronto se met elle aussi de la partie. En novembre 2021, son médecin hygiéniste a présenté au bureau de santé de Toronto un rapport d’action en vue de soumettre à Santé Canada une demande d’exemption au titre de l’article 56 pour l’ensemble de la ville, rapport qui a été approuvé à l’unanimité. Actuellement, Toronto prépare une demande au ministère pour que le gouvernement fédéral élabore un cadre national autorisant la simple possession de toutes les drogues pour usage personnel, ainsi qu’une exemption au titre de l’article 56 pour la Ville Reine qui, si elle est accordée, permettrait aux Torontois de posséder de petites quantités de drogues pour usage personnel[16].
Les entreprises de substances psychédéliques entrent en bourse
Depuis le début de 2021, environ 34 autres entreprises canadiennes de ce secteur se sont inscrites à la CSE, à la Bourse de croissance TSX ou à la bourse NEO. Si on remonte au début 2020, on recense 50 inscriptions en bourse, et tout laisse croire que cette tendance ne s’essouffle pas. Par ailleurs, la CSE indique qu’entre janvier et novembre 2021, les entreprises du secteur des substances psychédéliques inscrites à cette bourse ont mobilisé environ 289 M$ CA[17]. À noter aussi qu’un premier fonds négocié en bourse a fait son entrée sur NEO en 2021. Au total, on compte au moins 75 entreprises liées au secteur des substances psychédéliques inscrites en bourse au Canada.
2022 : Une nouvelle année pour les substances psychédéliques
La perception des substances psychédéliques a beaucoup évolué depuis les années 1970, alors qu’elles étaient fortement réglementées dans plusieurs pays (dont le Canada) et qu’elles étaient ciblées par la guerre contre les drogues aux États-Unis. Depuis, l’évolution de la science, de la composition démographique et des mentalités à l’égard des solutions hors normes a contribué à l’adhésion du public à l’idée d’utiliser ces substances à des fins médicinales et thérapeutiques.
On prévoit que l’accès aux médicaments et aux traitements à composante psychédélique pourrait être bonifié par les récentes modifications du PAS et les exemptions en vertu de l’article 56, qui continuent d’être accordées par le ministère de la Santé. Cependant, il ne faut pas voir là une décriminalisation. Malgré de meilleures possibilités d’accès pour certains patients, il faut noter que ces substances et les activités qui s’y rattachent demeurent fortement réglementées. Les acteurs du secteur doivent être conscients du labyrinthe juridique dans lequel ils se trouvent.
L’équipe de TRC-Sadovod, qui surveille ce dossier de près, est là pour les guider.
[1] Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.
[2] Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19.
[3] Santé Canada. Règlement modifiant certains règlements visant les drogues d’usage restreint (Programme d’accès spécial) : DORS/2021-271.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Global Newswire. Communiqué de l’Association psychédélique canadienne (en anglais seulement).
[7] Ville de Seattle. Seattle City Counsel Draft Resolution; Bloomberg. Seattle Votes to Decriminalize Psilocybin and Similar Substances; Detroit Free Press. Detroit decriminalizes psychedelic mushrooms: What it means; California Legislative Information. Bill SB519 Information; secrétaire d’État de l’Oregon. Complete Text of Initiative #34.
[8] Règlement sur les stupéfiants, C.R.C., ch. 1041.
[9] Gouvernement du Canada. Foire aux questions : Règlement sur les aliments et drogues.
[10] Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch., supra, note 1, art. J.01.038 et J.01.048.
[11] Pour regarder l’interview par la télévision de la CBC d’un groupe d’experts, composé notamment de la première Canadienne à avoir obtenu une exemption au titre de l’article 56 pour la thérapie par psilocybine et de Leila Rafi, associée de TRC-Sadovod, cliquez ici.
[12] Association du Barreau canadien. « Le nouveau cannabis? », National Magazine.
[13] CBC. B.C. non-profit challenges Health Canada to end 50-year prohibition on magic mushrooms.
[14] The Globe and Mail. B.C. seeks to decriminalize possession of illicit hard drugs in bid to slow worsening crisis.
[15] Ville de Vancouver. Request for an exemption from the Controlled Drugs and Substances Act (CDSA) pursuant to section 56(1) that would decriminalize personal possession of illicit substances within the City of Vancouver.
[16] Ville de Toronto. Report for Action – Actions to Respond to the Drug Poisoning Crisis in Toronto; CBC. Toronto Board of Health votes to decriminalize possession of small amounts of illegal drugs.
[17] CSE Financing Report November 2021
par Leila Rafi, Sasa Jarvis et Anthony Labib (stagiaire en droit).
Mise en garde
Le contenu du présent document ne fournit qu’un aperçu du sujet et ne saurait en aucun cas être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt obtenir des conseils juridiques précis.
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